Depuis plusieurs années, la ville de Cologne est devenue le nouveau point de chute des amateurs de musiques de jeux vidéo. Cette année encore, l’organisateur Thomas Böcker nous a gratifié d’une nouvelle représentation du désormais culte Symphonic Fantasies, ainsi que d’un concert inédit intitulé East Meets West. Comme son nom l’indique, le but avoué du concert était de mélanger à la fois musiques de jeux japonais et occidentaux. Imaginez un peu : savourer la musique de Nobuo Uematsu, Yasunori Mitsuda et Masashi Hamauzu entre des compositions de Laura Karpman, Austin Wintory ou encore Richard Jacques. Ce programme des plus alléchants se devait de faire cohabiter les œuvres d’une dizaine de compositeurs d’horizons différents. Un défi à la hauteur du talent de Roger Wanamo et Jonne Valtonen, les arrangeurs des concerts Symphonic. Après quelques échanges détendus et agréables avec quelques compositeurs présents à l’évènement, les spectateurs prirent place, fin prêts à écouter le WDR Rundfunkorchester Köln sous la direction de Wayne Marshall.
Première partie
Des cuivres triomphants ouvrent le bal, reprenant le célèbre thème principal de Lylat Wars composé par Koji Kondo. Rythmes militaires pour l’ambiance impériale, envolées de cordes et de vents pour le côté grandiloquent, l’arrangement de Jonne Valtonen est un véritable clin d’œil aux musiques de Star Wars. Et comme le monsieur a plus d’un tour dans son sac, voilà qu’il glisse au milieu de sa partition le thème de Corneria, premier niveau du Starfox de la Super Nintendo. L’esprit aventurier et épique de la mélodie de Hajime Hirasawa est ici superbement restitué. Militaire également mais moins marquante, la reprise de « Thundering Steppes » du jeu EverQuest II tire néanmoins son épingle du jeu en mettant à profit les pieds de tous les musiciens de l’orchestre, qui imiteront une marche militaire d’un bout à l’autre du morceau. Le morceau suivant nous invite à suivre les traces du plus célèbre espion britannique avec « Athens Harbour Chase », tiré du jeu James Bond Blood Stone. Si la première partie se fait assez discrète de par son ambiance tendue et inquiète, la seconde moitié se veut plus démonstrative… et assez clichée. Efficace malgré tout, cette réinterprétation du travail de Richard Jacques aurait tout à fait sa place dans un film estampillé 007.
Après ces élans hollywoodiens, la salle est alors plongée dans une ambiance nettement plus intimiste quand un violoncelle seul entame la mélodie qui a rythmé la progression des joueurs de Journey. À l’image du jeu, les cordes superbes entament leur progression dans un crescendo à la fois envoûtant et émouvant qui tiendra en haleine toute l’audience présente ce soir. Soufflée, celle-ci se tiendra silencieuse quelques secondes après la dernière note de « Apotheosis » avant d’entamer un tonnerre d’applaudissements. Pas de doute possible, si la portée émotionnelle de Journey ne trouve pas un écho retentissant en chaque joueur, il est tout de même difficile de rester insensible au voyage que propose le jeu et que le travail de Wintory illustre à merveille. Il aurait été fou de croire que nous ne serions pas aussi touchés par le morceau suivant puisqu’il s’agit du fameux Concerto pour Piano et Orchestre de Final Fantasy, créé à l’occasion du Symphonic Odysseys l’an passé. Si nous ne nous étendrons pas sur le caractère exceptionnel de cette musique (nous l’avons largement fait ici l’année dernière), mentionnons au moins le fait que l’interprétation entendue lors de ce East Meets West était la meilleure à ce jour, notamment lors du troisième mouvement, nettement plus vif et dynamique.
Deuxième partie
Les Japonais entament la seconde partie après un court entracte, et pour être tout à fait honnête, la Suite Xenogears est l’une des principales raisons de ma venue à ce concert. Particulièrement enthousiaste à l’idée d’entendre les superbes compositions de Yasunori Mitsuda arrangées par Roger Wanamo, les premières notes de « Dark Daybreak » parviennent enfin à nos oreilles. Très fidèle à la piste originale, un autre thème bien connu et tristement absent de l’album Myth fait alors irruption au milieu de la partition : « Knight of Fire » ! L’orchestration sublime la composition originale tout en restituant parfaitement les intentions de Mitsuda, un régal ! Puis revient « Dark Daybreak », et plus particulièrement sa partie interprétée par des chœurs, illustrant alors toute la dimension religieuse de Xenogears. Et… c’est tout. Tout semblait commencer merveilleusement bien, et pourtant, le morceau s’achève au bout de cinq courtes minutes et seulement deux morceaux repris, donnant l’impression que le terme « suite » relève presque de l’abus de langage. Habitués aux medleys d’une quinzaine de minutes depuis Symphonic Fantasies, dur de ne pas ressortir un peu déçu du morceau, non pas en raison du résultat final, mais d’un sentiment de promesse non-tenue. Fort heureusement, « Ruby’s Theme » est vite arrivée pour nous donner un peu de baume au cœur, l’enthousiasme et la légèreté étant les deux principales caractéristiques de cette pièce signée Masashi Hamauzu. Peut-être trop fidèle au morceau d’origine, il reste cependant difficile de bouder notre plaisir quant au fait d’entendre du Unlimited SaGa en concert (message aux organisateurs : remettez ça quand vous voulez) !
Kai Rosenkranz signe le retour des compositeurs occidentaux dans cette deuxième partie du concert avec une suite dédiée à Gothic 3. Un retour apprécié puisque le sens de la mélodie de Rosenkranz nous transporte vers des horizons médiévaux tout à fait enchanteurs grâce à ses moments tantôt épiques, tantôt doux. Une vraie merveille ! Dans un contexte à peu près similaire mais à l’ambiance beaucoup plus sombre et imposante, « Light Spirit » de Twilight Princess permet de voir de nouveau la série Zelda passer entre les mains de Valtonen. Beaucoup plus accessible et moins dense que le Poème Symphonique du Symphonic Legends, cette reprise n’est cependant pas dénuée de la créativité de l’arrangeur finlandais, qui fait cohabiter la soprano Dong Hi-Yi avec des chœurs et différents sons d’ambiance pour restituer l’aura toute particulière de cet épisode. Le résultat est saisissant et impressionnant, probablement l’une des plus grandes réussites de ce concert !
Cette envie de terminer East meets West en beauté se poursuit avec « Turrican II – Anthology Suite », œuvre de l’Allemand Chris Hülsbeck revisitée ici par Roger Wanamo. Si les musiques originales du jeu sont principalement synthétiques (le jeu est sorti en 1992), force est de constater que la transposition à l’orchestre donne un cachet épique qui sied à merveille à ce medley, dont le thème principal de Turrican II sera le leitmotiv. Ponctué de moments rassurants comme d’envolées très enjouées, ce morceau demeure l’un des plus marquants du concert grâce à sa progression haletante et ses mélodies mémorables. Alors que tous les morceaux annoncés dans le programme résonnent encore dans nos têtes, on nous annonce que l’orchestre a encore deux pistes à interpréter. La première porte le nom du concert et est une œuvre composée et orchestrée par Jonne Valtonen spécialement pour l’évènement ! Celle-ci débute avec un ton solennel qui se retrouvera d’un bout à l’autre de la partition, aidé par les chœurs du WDR Rundfunkchor Köln. Poignante, la montée en puissance du morceau s’adoucira près d’une minute avant la fin, laissant la part belle à Dong Hi-Yi ainsi qu’à un choriste masculin, qui achèveront paisiblement ce morceau surprise. Connu des amateurs du concert Symphonic Shades, « The Great Giana Sisters », seconde œuvre de Chris Hülsbeck, conclue ce concert. Vieux de 25 ans, ce jeu bien connu des joueurs PC de l’époque s’est notamment attiré les foudres de Nintendo au moment de sa sortie, puisque le studio japonais y a vu, à juste titre, une parodie de la série Super Mario. Quoi qu’il en soit, ce titre aura permit à Hülsbeck d’écrire des mélodies chiptunes particulièrement entêtantes, dont la transposition à l’orchestre est surprenante de naturel. Burlesque, inquiétante, héroïque, tragique… L’arrangement de Valtonen déploie une large palette d’émotions qui s’enchaînent brillamment, et le résultat est particulièrement exaltant !
Conclusion
Une fois encore, l’équipe de Thomas Böcker nous a offert un merveilleux moment musical. Si l’on aurait pu espérer moins de reprises des précédents concerts (le Concerto Final Fantasy, « The Great Giana Sisters »), des pistes moins fidèles aux morceaux originaux et plus surprenantes (« Apotheosis », « Ruby’s Theme ») et une Suite Xenogears plus longue que le résultat final, ces petits détails ne pèsent définitivement pas bien lourds face aux grandes qualités de cet évènement, digne successeur des concerts Symphonic. Rediffusé à la radio, espérons que ce East Meets West fasse également l’objet d’une sortie en disque afin de pouvoir de nouveau profiter de ces superbes orchestrations. Merci et à l’année prochaine pour le Final Symphony !
– Julien