Quelques heures avant le début de sa tournée française organisée par Wayô Records, nous avons eu la chance de rencontrer Akira Yamaoka. Pendant une vingtaine de minutes, le compositeur de Grasshopper Manufacture a discuté avec nous de ses projets passés, présents et futurs, et nous a également fait part de sa vision de la musique. Comme vous vous en doutez, cet échange a été l’occasion de parler de Silent Hill, Shadow of the Damned, Let It Die mais également ses projets personnels, dont le tout récent Yuigonzakura du groupe Enn mo Takenawa.
Pour retrouver notre compte rendu de la première date de la tournée d’Akira Yamaoka, rendez-vous ici.
Pouvez-vous nous parler de l’album Yuigonzakura et de la formation Enn mo Takenawa ? Peut-on le considérer comme un projet solo et qu’est-ce qui a motivé la création de cet album ?
Je ne sais pas si on peut véritablement parler d’album solo mais en tout cas, je souhaitais travailler avec une chanteuse et l’idée était de composer un projet qui n’était destiné ni à un jeu ni à un média en particulier. Je voulais faire de la musique pour la musique, et je me suis surtout concentré sur ce que je voulais que les gens ressentent en écoutant ce disque. C’est à partir de cette volonté que nous avons travaillé elle et moi sur de nouvelles chansons.
En combien temps cet album a-t-il été élaboré ?
Je dirais que la composition en elle-même a duré seulement deux ou trois jours. Mais il faut ajouter à ça le temps de créer les arrangements, les répétitions et les enregistrements, mais la composition pure s’est faite vraiment très rapidement.
Pour rester dans vos projets plus personnels, qu’est-ce qui a motivé la création de votre album solo iFUTURELIST en 2006 ?
Dans le cas d’iFUTURELIST, c’est un peu différent de Yuigonzakura en terme de démarche. Je suis un grand fan de New Wave, et cet album-là, c’était une occasion pour moi de rendre hommage à ce genre musical.
Depuis Lollipop Chainsaw, vos derniers travaux chez Grasshopper Manufacture n’ont pas connu de publications sous forme de bande originale (en dehors d’un CD bonus dans une édition spéciale du jeu Killer is Dead). Y a-t-il une raison à cela ?
(Il réfléchit) Je ne dirais pas qu’il y a une raison particulière à cela… C’est plutôt un manque d’opportunité à ce moment-là.
En mars 2012, lors d’une interview accordée au site Ginx TV (disponible ici), vous déclariez avoir envie de monter un groupe avec Mary Elizabeth McGlynn. Un EP 3 titres « Revolución » est depuis sorti, avec Troy Baker. Où en est ce projet ?
L’idée est toujours présente dans mon esprit, et j’aimerais notamment composer des choses différentes de ce que j’ai pu faire avec elle à l’époque de Silent Hill.
En parlant de Mary Elizabeth McGlynn, comment se passent vos sessions en studio et à quel moment s’implique-t-elle dans le processus créatif de vos chansons ?
Généralement, je commence en composant une musique, puis j’envoie une espèce de « brouillon » assez grossier à Mary Elizabeth, avec seulement la ligne mélodique et un accompagnement, le tout avec des sons sommaires. Nous écrivons ensuite les paroles et tout ça lui sert de base de travail pour réfléchir aux chœurs et à la façon d’améliorer les parties vocales. Tout cela va assez vite puisqu’en un ou deux échanges, nous arrivons à une version finale. Mary Elizabeth est particulièrement douée pour comprendre rapidement la direction que doit prendre une musique et pour l’exprimer !
Puisque nous parlons de chant, bien que peu présente dans votre discographie, la voix de Joe Romersa a su marquer beaucoup d’auditeurs de par son timbre très particulier. Comptez-vous retravailler avec lui, à la fois en tant que parolier mais surtout en tant que chanteur ?
Bien sûr, j’aimerais beaucoup retravailler avec lui dans le futur ! Nous sommes d’ailleurs toujours en contact et il continue d’écrire des paroles pour certaines de mes chansons, notamment sur Shadow of the Damned. Il lui est aussi arrivé de jouer la basse lors de concerts avec moi.
Justement, êtes-vous encore aujourd’hui attaché à l’esthétique que vous avez créée pour Silent Hill, et par extension dans Shadow of the Damned, ou avez-vous plutôt envie d’explorer d’autres horizons ?
En premier lieu, je ne cherche pas spécialement à prolonger ni à même me séparer de ce que vous appelez « l’esthétique Silent Hill ». Ensuite, nous aujourd’hui vivons dans un monde où la musique perd de sa valeur car elle est accessible très facilement, gratuitement, et quel que soit l’endroit où nous sommes. De plus, la musique est souvent considérée comme un élément qui accompagne quelque chose, que cela soit l’image ou le quotidien par exemple, comme si elle n’était plus assez représentative ou suffisante en tant que musique même. Dans ce contexte, mon but est de continuer à exister en tant que compositeur en explorant des choses nouvelles en permanence.
Quels sont vos prochains projets dont vous pouvez nous parler ?
L’actualité la plus imminente me concernant est sans aucun doute Let It Die, qui sort au mois de décembre. J’ai bien sûr d’autres projets dans les cartons mais je ne peux pas vraiment en parler pour l’instant…
Êtes-vous toujours associé au jeu RiME de Tequila Works, dont le développement a connu quelques soucis ?
Oui, c’est un beau projet, mais de ce que j’en sais, il n’y a effectivement aucune avancée…
Pour conclure, quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui aimeraient devenir compositeurs ?
(Il réfléchit) Je ne pense pas avoir de conseils précis à donner… Mais comme je le disais tout à l’heure, la musique a tendance à perdre de sa valeur aux yeux des auditeurs étant donné la façon dont elle est consommée aujourd’hui. De fait, avant de commencer à se demander « Comment composer une belle musique ? », il me paraît important de s’interroger sur comment la musique qu’on crée peut avoir une véritable valeur. Ma réponse peut sembler un peu abstraite et ambiguë, mais c’est pour moi une question essentielle à laquelle les nouvelles générations de compositeurs vont devoir réfléchir.
Vous pensez qu’il était plus facile d’exister en tant que compositeur avant ?
Disons qu’il n’y a pas si longtemps, il suffisait de faire une musique de qualité ou d’avoir un bon groupe pour vendre sa musique. Aujourd’hui, c’est de moins en moins le cas et il se peut que ça ne le soit plus du tout dans les années à venir… Il y a encore dix ans, j’aurais pu vous donner des conseils sur ce qui fait qu’un morceau fonctionne, sur les logiciels ou les effets que j’utilisais… Mais dans un monde où la gratuité de la musique est quelque chose qui est malheureusement en train de s’imposer de plus en plus, la question à se poser aujourd’hui est plutôt de savoir par quels moyens arriver à vivre de sa musique, qu’elle soit bonne ou mauvaise.
Propos recueillis par Julien le 25 novembre 2016.
Merci à Jonathan Khersis pour la traduction ainsi qu’à Wayô Records pour l’organisation.