Steve Reich (WTC 9/11)

[Florian]

C'est sans doute un peu osé d'ouvrir cash un sujet aussi... JOYEUX et ACCESSIBLE sur ce forum, mais j'espère que vous m'en excuserez, car j'ai très envie de vous parler de ce compositeur que j'affectionne tout particulièrement et de sa dernière oeuvre en date : WTC 9/11. Le premier enregistrement de cet opus, interprété par le Kronos Quartet (vous savez, Requiem for a Dream !), est disponible en écoute intégrale sur internet depuis hier.

Steve Reich, pour ceux qui ne le saurait pas, est l'un des plus grands compositeurs de musique "savante" de notre époque, et est reconnu comme l'un des pionniers de la musique dite minimaliste, plus spécifiquement de la musique répétitive. Sa dernière création s'inscrit dans la lignée de ses recherches sur la mélodie du discours, qu'il avait entamé en 1988 avec Different Trains : la musique s'articule autour d'extraits de discours parlés enregistrés, doublés et répétés par les instruments présents sur scène (souvent l'alto et le violoncelle, en raison de la proximité de leurs timbres avec celui de la voix humaine). La particularité de WTC 9/11, c'est bien entendu que, comme son nom l'indique, la pièce est construite sur des enregistrements vocaux en rapport avec les attentats du 11 septembre 2001 : des communications des services de sécurité aérienne américains et des pompiers de New York, ainsi que des témoignages recueilli en 2010 par Reich lui-même auprès de son voisinage.

La partition est écrite pour trois quatuors à corde, auxquels viennent donc s'ajouter les enregistrements vocaux. On retrouve la rythmique pulsatile à laquelle on est habitué chez Reich, avec ces longs ostinatos qui forment un tapis rythmique hypnotisant sur lequel le reste de la musique vient s'appuyer. La composition est résolument dissonante, un fait surprenant, puisqu'il va à l'encontre des constructions plus mélodieuses vers lesquelles Reich semblait tendre avec ses derniers travaux (dont on peut trouver deux représentants sur l'album en écoute plus haut, pour comparaison).


Le résultat est, je trouve, d'une puissance assez indescriptible. Particulièrement anxiogène, il procure un sentiment de proximité, d'intimité avec les voix enregistrées extrêmement perturbant. L'émotion viscérale et violente dont ces voix sont emplies est amplifiée de façon spectaculaire par le travail de Reich, qui donne une image claire, mais jamais simple ni évidente, de la détresse qu'ont pu provoquer les funestes événements de ce jour. Depuis que j'ai écouté la pièce pour la première fois, il y a environ 24 heures, il m'est bien difficile de la chasser de mes pensées, et je sens que cela risque de durer encore quelques temps. Je réserve bien sur mon jugement pour l'instant, en attendant encore quelques nouvelles écoutes et le temps de "digérer" la chose. Mais quoi qu'il en soit, je vous recommande l'expérience. Et je crois bien, à quelques jours à peine des 10 ans des attentats, que Reich a réalisé là l'évocation la plus vibrante et la plus éloquente qui soit de l'événement.

[Denys]

Bon eh bien j'ai écouté plusieurs fois, ça me plaît beaucoup ! Au début, j'ai cru que le Mallet Quartet joué après faisait partie de l'œuvre, ce qui m'a un peu refroidi alors que j'étais scotché à ma chaise. J'ai été rassuré en comprenant que ce n'était pas le cas.

Cette utilisation du quatuor est très intéressante et le fond en phrases gelées me plaît bien aussi.

Merci pour la découverte !

[Denys]

Je double-poste pour signaler cet article au sujet de la pochette du disque sur Rue 89 :

http://www.rue89.com/2011/09/10/steve-r ... que-221379

[Clément]

Les Américains ne m'étonnent plus, mais quand même : qu'est-ce qu'ils sont cons quand ils s'y mettent.

Super la nouvelle pochette !

[Ytterbium]

Il y aurait tellement à dire sur ces compositeurs...
Juste que la "question de goût" reste un grand débat à mon sens, surtout si elle invite à faire fi de l'expérience et de la culture, qui visent précisément à comprendre la démarche de tel ou tel artiste / telle ou telle oeuvre. Ceci dit, on fait d'énormes clichés des minimalistes, alors qu'ils composent également souvent des oeuvres très accessibles, pleines de couleurs et d'inventivité.
Je reste très attaché à Reich, mais je comprends que l'aspect expérimental de ses oeuvres peut en brusquer certains.

[Denys]

On a connu autrement plus expérimental que Reich ces dernières années !

[Jérémie]

Il paraît que Reich a fait Führer

Vous pouvez continuer ^^

[Ytterbium]

On a connu autrement plus expérimental que Reich ces dernières années !

Ai-je dis l'inverse ? Pour les non-habitués, Reich peut faire mal à la tête comme dans les pires heures de la musique minimaliste.

[Denys]

Ai-je dis l'inverse ? Pour les non-habitués, Reich peut faire mal à la tête comme dans les pires heures de la musique minimaliste.

Tu dis ça parce que tu n'es pas habitué à ce que tu appelles les pires heures de la musique minimaliste, mais je ne t'en veux pas, c'est sans doute par manque de culture et d'expérience !

Plus sérieusement, je trouve que ta phrase est d'autant plus stérile qu'elle est transposable à l'infini :

Pour les non-habitués, Mozart peut faire mal à la tête comme dans les pires heures de la musique classique.
Pour les non-habitués, Bach peut faire mal à la tête comme dans les pires heures de la musique baroque.
Pour les non-habitués, Hamauzu peut faire mal à la tête comme dans les pires heures de la musique de jeu vidéo.
Pour les non-habitués, Liszt peut faire mal à la tête comme dans les pires heures de la musique romantique.
Pour les non-habitués, Webern peut faire mal à la tête comme dans les pires heures de la musique sérielle.
Pour les non-habitués, Gombert peut faire mal à la tête comme dans les pires heures de la musique du Moyen-Âge.
Pour les non-habitués, le gagaku peut faire mal à la tête comme dans les pires heures de la musique de cour.
Pour les non-habitués, le métal peut faire mal à la tête comme dans les pires heures de la musique du XXè siècle.

Bref, tu dis toi-même qu'il y « aurait tellement à dire sur ces compositeurs... » sans en parler et en caricaturant le propos du pauvre Yashiro, qui lui, parlait de musique. Enfin, chacun sa façon de débattre sur la musique !

[Ytterbium]

Que tu le veuilles ou non, il y a un malheureux consensus sur la musique minimaliste et Steve Reich s'étouffe en plein dedans. Ce n'est parfois pas franchement musical, souvent répétitif (Glass se définie ainsi), avec des sons bizarres et stridents, dissonants, au point d'en arrêter la lecture, juste par rejet "physique".
A ce titre je ne vois pas WTC 9/11 comme une expérience purement musicale, mais un témoignage historique et artistique dont la réflexion s'installe sur un plan extrêmement différent des compositeurs "classiques". Une fois, j'avais comparé la musique minimaliste à de la poésie, mais je ne suis pas expert et ce genre de métaphores donnent un sens mauvais aux propos.

Par exemple, certains vont jusqu'à chercher une mélodie dans les metamorphosis de Glass, alors que la répétition et l'accumulation de couches d'instruments ou encore les variations harmoniques sans fin sont les autres pistes de compréhension de ce type de musique. Un peu comme In C de Riley ; les amateurs de musique "classique" (je ne parle pas de Mozart et consorts, "classique" au sens "général") ne comprennent pas le pourquoi de cette oeuvre, pourtant fascinante structurellement, ou plutôt dans sa construction live. Il y a une absence de repères dans la musique minimaliste qui ne la rend pas très populaire dans sa globalité ; j'aimerais te rappeler les débats sur Squaremusic à ce propos, et on n'était évidemment pas les seuls. Les débats sur la musique minimaliste sont plutôt courants.

Bref, désolé pour Yashiro, mais je parlais également de musique... au final, entre sa disparition et ta belle réaction, je me demande encore quelle est la meilleure façon de débattre