Xenoblade, la bande originale à douze mains

Lorsque Xenoblade a été discrètement dévoilé à l’E3 2009 sous le nom provisoire de Modano: Beginning of the World, le mystère était encore grand autour de ce projet. Il existait pourtant une certitude à son sujet. En regardant la première vidéo montrée lors du salon, on reconnaissait sans mal la touche de Yôko Shimomura. Personne n’aurait pu deviner qu’elle allait en réalité être accompagnée de cinq autre compositeurs. Pour satisfaire les besoins de son jeu gigantesque, le réalisateur Tetsuya Takahashi (célèbre pour Xenogears et Xenosaga) a décidé de faire appel à une équipe musicale très large. Au final, la bande originale de Xenoblade compte pas moins de 90 morceaux. Comment Takahashi a-t-il constitué cette équipe inattendue ? Quels ont été les défis à relever pour assurer la cohérence du projet ?

De un à six

Yôko Shimomura était bel et bien le premier choix de Tetsuya Takahashi. Les deux créateurs se connaissent depuis l’époque de Square, où ils ont tous les deux travaillés plusieurs années. Ils n’ont été associés que sur un seul projet, Front Mission, en 1995. C’est pour apporter de la nouveauté par rapport à ses précédents jeux que Takahashi a porté son dévolu sur la compositrice, qui a finalement été chargée d’écrire le thème principal et les morceaux du début du jeu. Yasunori Mitsuda, collaborateur historique de Takahashi, n’est arrivé sur le projet que tard dans le développement, alors que le jeu venait d’être renommé en Xenoblade et que l’équipe cherchait quelqu’un pour écrire la chanson thème. C’est finalement assez naturellement qu’elle s’est tournée vers celui qui a déjà participé aux autres Xeno-. Mitsuda a ainsi composé la chanson de fin «Beyond the Sky».

Le format de la bande originale a néanmoins demandé aux développeurs de réfléchir à une équipe bien plus grande, notamment parce qu’ils voulaient que la musique change selon la situation : par exemple, selon le jour et la nuit ou l’état de santé des personnages en combat. Le gros des musiques a été composé par quatre musiciens peu connus dans le domaine : Manami Kiyota et le groupe ACE+ (CHiCO, Tomori Kudô et Kenji Hiramatsu). Tetsuya Takahashi les a rencontrés par le biais de Dog Ear Records, le label de Nobuo Uematsu, et leur a proposé d’écrire les musiques d’exploration et de cinématiques, avec comme tâche supplémentaire pour ACE+ de prendre en charge celles des combats. Ils n’ont pas hésité. Quand Kiyota a reçu la proposition de la part de Dog Ear, elle a bondi de joie. Elle était d’autant plus heureuse qu’elle allait travailler aux côtés de Shimomura et Mitsuda, dont elle a découvert les musiques en jouant à leurs jeux quand elle était encore au lycée.

Présentations

On ne présente plus Yôko Shimomura et Yasunori Mitsuda, qui sont devenus deux des noms les plus connus de la musique de jeu vidéo japonaise. Xenoblade est avant tout l’occasion de découvrir ses autres compositeurs, qui ont tous pour particularité d’avoir déjà travaillé pour Nintendo par le passé. Manami Kiyota, auteur-compositeur-interprète qui a déjà publié plusieurs albums solo, a en effet participé à la composition des musiques de PokéPark Wii avec Kenichi Koyano et Shigerô Yoshida. Elle a également interprété les chœurs du thème d’ouverture de Glory of Heracles sur DS. Xenoblade marque son premier projet majeur dans le domaine de la musique de jeu vidéo.

De son côté, le trio ACE+ est en réalité le duo ACE (CHiCO et Tomori Kudô) rejoint par Kenji Hiramatsu. Ces trois collaborateurs ont réalisé ensemble la bande originale du MMORPG Emil Chronicle Online mais la dénomination ACE+ est apparue pour la première fois à l’occasion de Xenoblade. CHiCO et Kudô ont travaillé pour Nintendo plusieurs fois, notamment pour Minna no Tamagochi World sur N64 et la série Robopon sur GameBoy. En 1999, ils se sont associés à Hiramatsu pour Bomberman 64: The Second Attack, aux côtés de Yasunori Mitsuda et Yoshitaka Hirota. Récemment, CHiCO a interprété la chanson thème de Luminous Arc 3 sur DS. De son côté, Hiramatsu est un grand fan de Nintendo et un joueur de longue date.

Unité et originalité

S’il fallait résumer les deux mots d’ordre de Tetsuya Takahashi, ce serait ceux-là. Le réalisateur a en effet fait de son mieux pour que les styles des compositeurs se rejoignent et pour que le joueur ne soit pas choqué par des changements trop brutaux. L’exigence de Takahashi était telle qu’il n’hésitait pas à refuser plusieurs fois un morceau avant que celui-ci soit exactement comme il le voulait. Il faut dire que, même s’il admet que la démarche peut sembler impolie, il allait jusqu’à donner à ses compositeurs des morceaux en guise d’exemple pour expliquer l’impression qu’il voulait donner à une scène. Une anecdote prouve toute l’exigence du réalisateur : pour le thème du prologue, il a demandé à Yôko Shimomura d’écrire une piste de 9 minutes qui colle exactement à l’action. Comme cela semblait trop difficile à la compositrice, il lui a finalement demandé de faire comme si elle écrivait deux pistes : «Prologue A» et «Prologue B». Pour Shimomura, ces deux pistes sont différentes en termes de rythmique mais partagent le même concept.

Bien sûr, le scénario n’en restait pas moins la meilleure source d’inspiration. Lorsqu’elle a découvert que l’histoire se déroulait sur deux géants fossilisés, Shimomura a par exemple ressenti une sensation étrange. Pour elle, ce monde inhabituel à la nature gigantesque et au ciel infini est ce qui fait toute la singularité de Xenoblade. Kenji Hiramatsu était lui aussi fasciné par l’immensité du jeu, notamment lorsqu’il a découvert qu’il pouvait se rendre jusqu’à la la falaise qu’il voyait au loin. CHiCO, elle, était si absorbée par le scénario qu’il lui arrivait d’en réciter les dialogues à voix haute. Pourtant, après sa première rencontre avec Tetsuya Takahashi, elle était restée sur une impression confuse du travail qu’elle devait accomplir. Alors que le réalisateur lui avait certifié qu’ils devaient tous travailler tout à fait naturellement, il avait précisé qu’il ne voulait pas qu’ils composent de la musique typée RPG.

L’une des directives de Takahashi était d’utiliser une grande variété d’instruments pour que le jeu ne semble pas monotone. Yôko Shimomura a par exemple cherché à utiliser des sonorités un peu différentes, telles que la guitare électrique ou des sons mécaniques, pour retranscrire la thématique de l’affrontement des humains contre les machines. Elle a tout de même intégré l’un de ses instruments préférés, le violon. Les autres compositeurs ont eux-mêmes participé à l’interprétation des différents morceaux. Manami Kiyota et CHiCO font les chœurs sur certaines pistes, tandis que Tomori Kudô et Kenji Hiramatsu jouent respectivement de la guitare et du synthétiseur. En fin de compte, le travail de longue haleine de Kiyota et ACE+ les a rapprochés à tel point qu’ils sont devenus bons amis. Ils se rendaient régulièrement les uns chez les autres pour se soutenir.

Au-delà du ciel

Tetsuya Takahashi ayant déjà travaillé plusieurs fois avec Yasunori Mitsuda par le passé, il savait qu’il pouvait lui faire confiance lorsqu’il lui a confié l’écriture de la chanson thème de Xenoblade. Au moment où la proposition est arrivée, le jeu était presque finalisé, ce qui a permis à Mitsuda de s’imprégner de tout le travail déjà réalisé. Sa première demande a été de lire le scénario entièrement, même s’il craignait ne pas avoir assez de temps pour cela. Lorsqu’il a atteint la dernière ligne, il s’est immédiatement dit que c’était bel et bien un jeu de Takahashi. L’idée de Mitsuda était de faire en sorte que sa chanson serve d’aboutissement à toutes les autres musiques du jeu, mais cela lui a posé quelques difficultés. Ce n’était pourtant que le début, car une fois la mélodie composée et la partie instrumentale enregistrée, il lui fallait avant tout trouver la bonne interprète. Ses recherches étant infructueuses, il alla même jusqu’à lancer un appel sur son blog en janvier 2010.

Au bout de plusieurs auditions, ils ont finalement retenu la chanteuse d’origine australienne Sarah Àlainn. Elle s’est distinguée des autres candidates en demandant à chanter directement en studio. Étonnamment, sa voix était différente de celle que Mitsuda attendait. Alors qu’il pensait faire chanter la musique par une interprète à la voix puissante, celle de Sarah Àlainn est plutôt classique. Comme Mitsuda est quelqu’un d’exigeant, il a fait réenregistrer la chanson plusieurs fois pendant un mois afin d’être sûr d’obtenir ce qu’il cherchait. Malgré tout, Àlainn a persisté jusqu’au bout pour donner naissance à la «Beyond the Sky» qui sert désormais de thème de fin à Xenoblade.

Longue de 4 CD et riche de 91 morceaux, la bande originale de Xenoblade a été publiée le 23 juin 2010 au Japon par le label Dog Ear Records.

Source : Iwata asks traduit par Andriasang

Xenoblade Original Soundtrack

Critique de Jérémie

Pistes coup de cœur :
Unfinished Battle, Gaur Plains, Field of the Machinae

Le programme de la bande originale de Xenoblade est extrêmement alléchant : il mélange des valeurs sûres de la musique de RPG et des talents méconnus heureux de pouvoir enfin s’exprimer sur un projet majeur. Mais il faut bien le courage de se lancer dans cette très longue écoute, les 4 CD étant organisés de manière peu enrichissante. En effet, les deux premiers disques comprennent les pistes des cinématiques, les deux derniers celles d’exploration et de combat. Cela provoque un déséquilibre, la plupart des thèmes pour les cinématiques étant discrets pour ne pas dire ennuyeux, alors que la partie gameplay est bien plus riche et variée. Mais cela est uniquement un problème de forme, car l’ensemble n’en reste pas moins sympathique et les grands moments sont assez fréquents. Naturellement, Yôko Shimomura contemple ses collaborateurs du haut de son excellence et offre une prestation courte mais autant touchante (le thème principal, celui de fin) qu’énergique (« Unfinished Battle », exceptionnelle). A cela s’ajoute la très jolie chanson de fin de Mitsuda, « Beyond the Sky » à la progression enthousiasmante.

Le cœur de la bande originale a été composé par Manami Kiyota et ACE+ et, même en s’y mettant à quatre, on ne peut pas échapper aux passages à vide. Ainsi, sur les deux premiers CD, les ambiances de Kiyota sont bien fades malgré de belles tentatives (notamment « Looks » et son surprenant mélange de cordes et de chœurs). Il faut attendre les deux derniers CD pour la sentir enfin inspirée, proche de ses propres goûts musicaux, notamment dans les versions nocturnes magiques de certaines pistes d’exploration. Celui de Sator est de loin le plus émouvant, la compositrice y renouant avec son style solo si particulier. Malgré sa prestation scolaire dans l’ensemble, Kiyota réussit à surprendre avec le rock mystique de « Xanthe ». Le trio ACE+ fournit une prestation bien plus spectaculaire, avec des rythmes forts et des guitares électriques à volonté, mais il ne réussit pas toujours à rester captivant. Il n’en reste pas moins des morceaux très inventifs, comme « Field of the Machinae », ou des mélodies remarquables, comme celle qui s’invite tardivement dans « One Who Gets in Our Way ». Et, bien sûr, il y a « Gaur Plains ». Celle-là est d’un autre niveau. En fait, en l’écoutant, je me demande si la musique de jeu vidéo a déjà connu pareil appel à l’aventure. Il est fort possible que non.

Appréciation : Bon

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Critique de Julien

Pistes coup de cœur :
Main Theme – Gaur Plains – Sator, Phosphorescent Land / Night

Dirigée d’une main de fer par le réalisateur Tetsuya Takahashi, la bande originale de Xenoblade jongle avec une cohérence étonnante entre les styles de compositeurs vétérans et de nouveaux venus. Sur de nombreux fronts en 2010, la courte présence de Yôko Shimomura sur Xenoblade se fait pourtant remarquer par sa prestance. Un aspect que partagent l’émouvant « Main Theme » et la tonitruante « Unfinished Battle », tous deux dotés d’une montée en puissance chavirante. Cette qualité musicale est égalée avec brio par le trio d’ACE+, qui, après un travail fantastique pour Emil Chronicle Online, continue de faire découvrir son talent. Impossible de rester de marbre face à l’incroyable « Gaur Plains », véritable appel à l’aventure auquel aucun auditeur ne pourrait résister. Globalement très énergique, leur travail recèle aussi quelques moments nettement plus poignants comme le prouve la superbe « Parting, and… », qui confirme la diversité dont sont capables CHiCO et ses deux acolytes.

Particulièrement heureux de voir Manami Kiyota composer pour un jeu vidéo, je dois bien dire que ma petite favorite ne m’a pas déçu ! Bien sûr, ses pistes purement ambiantes ne présentent qu’un intérêt limité en dehors du jeu. Mais lorsque la compositrice fait en sorte de plonger son auditeur dans des ambiances évasives ou touchantes, ses mélodies et son talent font mouche à chaque fois. Des pistes comme « Memories » ou « Sator, Phosphorescent Land / Night » ne me feront pas mentir ! J’espère de tout cœur que sa prestation réussie et variée saura interpeller d’autres réalisateurs de jeux vidéo ! Quant à l’unique prestation de Yasunori Mitsuda, « Beyond the Sky » remplit son contrat avec moins d’excellence que les deux inoubliables chansons de Xenosaga Episode 1 tout en restant très agréable. La voix douce et gracieuse de la chanteuse Sarah Àlainn y est d’ailleurs pour beaucoup. Regorgeant de qualités, cette bande originale n’a pas à rougir devant celles des autres épisodes estampillés Xeno, avec lesquelles elle n’a finalement que peu de choses en commun.

Appréciation : Très bon