Rétrospective : Assassin’s Creed

« Nous avons écouté de nombreux compositeurs avant de trouver celui qui conviendrait à Assassin’s Creed », affirmait la productrice Jade Raymond dans le communiqué de presse qui officialisait la participation de Jesper Kyd au premier épisode de la future série. Il faut dire que l’équipe de développement était en train de mettre au point une plongée absolument inédite dans l’ambiance des Croisades, ère jusque-là peu exploitée par les jeux d’action-aventure, et qu’il aurait été dommage de ne pas accompagner cette percée d’une musique travaillée. Précisément, Kyd n’en était pas à sa première expérience. Le compositeur des quatre premiers Hitman et de Freedom Fighters, entre autres, a déjà prouvé qu’il savait mêler les styles, de l’orchestral à l’électronique, pour créer des ambiances musicales prenantes. Avec Assassin’s Creed, il a trouvé une nouvelle mythologie et celle-ci, en traversant les époques depuis le futur très proche jusqu’à un millénaire dans le passé, lui a permis de mettre précisément à contribution cette approche.

Alors que sort cette semaine le dernier épisode en date, Assassin’s Creed Revelations, Musica Ludi vous propose une rétrospective de la série. Vous comprendrez comment le style de Jesper Kyd a évolué au fil des épisodes et quelles sont ses inspirations.

Au croisement des âges et des cultures : Assassin’s Creed (2007)
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Le premier épisode de la série Assassin’s Creed se déroule en grande partie durant la troisième croisade, au XIIe siècle, bien que certaines séquences se passent en 2012. Jesper Kyd, bien conscient que composer pour un jeu historique est une occasion rare, en a profité pour créer des musiques différentes de celles, plus hollywoodiennes, qu’il avait pu écrire pour Hitman par exemple. Après avoir composé un premier prototype de musique pour la présentation du jeu à l’E3 2006, il a commencé par imaginer les thèmes des trois principales villes du jeu (Acre, Damas et Jérusalem) et du bastion des assassins, Masyaf. L’équipe de développement lui a soufflé les premières idées pour ces musiques : ce sont eux qui ont voulu que le thème d’Acre illustre une sorte de « drame chrétien », que celui de Damas tente une approche musulmane sans tomber dans les gammes habituelles, et que celui de Jérusalem soit à la rencontre des différentes religions. Pour illustrer le conflit entraîné par les Croisades dans la ville sainte, Kyd a ainsi mélangé des chants grégoriens avec des flûtes et percussions orientales.

En dehors de ces propositions de l’équipe, le compositeur a néanmoins disposé d’une vraie liberté, ce qui lui a permis notamment de mettre au point l’ambiance méditative qui entoure les assassins, à travers les musiques d’approches par exemple. Tout comme les designers du jeu, il a fait de nombreuses recherches historiques pour savoir à quoi pouvait ressembler la musique de la fin du XIIe siècle, les instruments principalement. Malgré ces recherches, il lui a réellement fallu inventer un son et, avec les différentes phases de jeu proposées par Assassin’s Creed, Kyd a dû développer de nombreuses ambiances conformément au rythme du jeu : cinématique, exploration, enquête, approche, combat et fuite. C’est d’ailleurs la liberté d’exploration offerte par le jeu que le compositeur admire le plus. En fin de compte, il a produit environ 100 pistes, pour un total de 3 heures de musique brute.

Sous les lumières de la Renaissance : Assassin’s Creed II (2009)
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Le deuxième épisode de la série fut un bond absolument spectaculaire en avant, la plupart des défauts du premier se trouvant en effet corrigés. Jesper Kyd a naturellement accompagné avec sa musique toutes les nouveautés apportées par les développeurs. Mais le changement le plus crucial reste naturellement celui du contexte : après les Croisades, Assassin’s Creed II avance de quelques siècles et prend place dans l’Italie du XVe siècle, au moment où la Renaissance est en plein essor. La première chose qui frappe est donc l’ambiance plus délicate, plus cinématique apportée par la musique. Grâce à un budget plus généreux, le compositeur a pu enregistrer la plus grande partie de la bande originale en studio, avec de nombreux musiciens : une vingtaine de violons, avec des solos d’Alyssa J. Park, une dizaine d’altos, une dizaine de violoncelles, une autre dizaine de choristes, avec Melissa Kaplan en soliste… Kyd voit même dans sa musique pour ACII une approche romantique, la période du jeu s’y prêtant plus facilement que le premier. On trouve même une tarantella, une danse traditionnelle italienne.

Pourtant, l’obscurité n’est jamais très loin, le compositeur n’ayant pas oublié qu’il s’agit avant tout d’une histoire d’assassins. Le jeu compte ainsi un certain nombre de musiques sombres et inquiétantes, illustrant les nombreuses conspirations qui nourrissent le scénario. Cette approche plus classique des compositions se prête également à une optique plus dramatique et, parmi les musiques de ce type, « Ezio’s Family » reste encore aujourd’hui la plus populaire. Kyd lui-même est impressionné par le succès de cette piste, visionnée plusieurs millions de fois sur YouTube, à tel point qu’il a le sentiment qu’une communauté s’est créée autour de ce morceau. Pour le composer, il s’est inspiré des événements le plus souvent tragiques qui rythment la vie d’Ezio, et qui le conduisent sur le chemin des assassins.

Dans les méandres du Vatican : Assassin’s Creed Brotherhood (2010)
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Brotherhood n’est pas encore un vrai Assassin’s Creed III. Cet épisode est la suite directe du deuxième, avec lequel il partage donc un contexte très proche, Ezio étant toujours le héros. Pour Jesper Kyd, la bande originale du jeu était donc un défi : il lui fallait en effet trouver une approche nouvelle par rapport à ACII, tout en en restant le plus proche possible pour que l’ambiance semble cohérente si jamais une musique de l’épisode précédent est réutilisée. Après avoir réalisé de nombreuses recherches sur la famille Borgia, qui est au cœur de l’histoire, et notamment sur la personnalité de Cesare Borgia, Kyd a convenu qu’il devait amener dans Brotherhood une musique plus sombre, plus « malsaine ». Là où la bande originale d’ACII restait assez légère, inspirée notamment par l’opéra, celle de Brotherhood est beaucoup plus grave. Pour accentuer cette sensation, Kyd a amplifié le côté moderne des musiques d’une manière inhabituelle : après avoir enregistré les différents instruments acoustiques en studio, il les a volontairement retouchés par ordinateur pour leur donner un « grain » particulier.

L’une des particularités du jeu est de reposer beaucoup sur certains thèmes : celui de Borgia, celui d’Ezio devenu maître assassin, ceux des différents quartiers de Rome, mais aussi des thèmes pour les aspects plus modernes ou fantastiques de l’intrigue, à savoir le personnage de Desmond Miles et la pomme d’Éden. Ces deux thèmes contribuent pour beaucoup à l’optique plus mystérieuse, plus moderne de la bande originale. Seul thème commun aux trois premiers Assassin’s Creed, celui des assassins fait qui plus est son retour sous une nouvelle forme. En fin de compte, même s’il n’a eu qu’environ 6 mois pour écrire toutes les nouvelles compositions, Jesper Kyd a produit environ 2 heures de musique pour Brotherhood.

Le retour au Proche-Orient : Assassin’s Creed Revelations (2011)
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Pour la première fois dans la série, Assassin’s Creed Revelations n’est pas uniquement l’œuvre de Jesper Kyd. S’il a signé un certain nombre de pistes, il a été accompagné par Lorne Balfe, un collaborateur régulier du compositeur de cinéma Hans Zimmer. Balfe a écrit une certaine partie des pistes pour le mode histoire, mais il est surtout l’auteur de toutes les musiques du mode multijoueur, auxquelles il a apporté une approche un peu plus cinématique. Dans le mode histoire, Kyd est quant à lui revenu à un style plus léger et épuré que dans Brotherhood, offrant à la ville de Constantinople qui sert de cœur au jeu plusieurs thèmes semblables à ceux de Florence ou Venise dans Assassin’s Creed II.

Reste maintenant à savoir quel sera la nature du nouvel Assassin’s Creed promis par Ubisoft pour l’année 2012, et bien sûr à vérifier si Jesper Kyd reprendra son rôle de compositeur.

Distant Worlds à Londres

Pour la première fois depuis sa création, Distant Worlds débarquait ce samedi 5 novembre sur le Vieux Continent, à Londres précisément. Mais qu’est-ce donc ? Tout simplement le concert officiel de la série la plus populaire qui soit, Final Fantasy. Impossible de rater pareil événement, surtout à moins de deux heures de train. Mon dernier passage dans la capitale anglaise remontait à environ quinze ans. A peine collégien, j’avais découvert une ville banale et bizarre, avec ses bus à deux étages et son bacon frit ; je me contre-foutais totalement d’une quelconque notion de beauté architecturale. Les années ont passé, le bonhomme a mûri. Londres possède des quartiers somptueux, et probablement l’une des plus jolies salles de concert de la planète. Accessoirement, les filles court vêtues sont plutôt charmantes, mais ce n’est pas vraiment le sujet.

Malgré la controverse des derniers épisodes de la série, la notoriété de Final Fantasy demeure intacte. Même si la salle n’était pas tout à fait pleine, on dénombrait au bas mot 4900 personnes venues célébrer ensemble leur compositeur et jeux fétiches. Nobuo Uematsu, évidemment, est dans la salle ; il monte rapidement sur scène pour saluer un public aux anges. Le confort est optimum, le plaisir immense. Malgré un programme sans réelles surprises, notamment pour qui a déjà entendu les albums Distant Worlds (ici ou , par exemple), je me laisse rapidement gagner par les mêmes sentiments d’aisance et de nostalgie que d’habitude. Quand la harpe du « Prelude » résonne de ces notes mythiques, je me sens comme chez moi ; quand la mélodie de « Don’t be Afraid » progresse, lente mais puissante, mes yeux embués se souviennent avec candeur de ces heures passées sur l’épisode VIII. Mais la nostalgie n’est pas seule, le talent l’épaule. Au sommet de la carrière de Uematsu, se dresse ainsi un morceau gigantesque, fier thème du combat de fin contre l’un des plus mémorables vilains de la série, Cefka. « Dancing Mad », chef-d’œuvre parmi les chefs-d’œuvre, est long d’une quinzaine de minutes, quatre phases, et sa puissance folle n’a d’égale que son ingéniosité. Avec la chorale et un orgue de dix mille tubes, la force se dégageant du final est vraiment époustouflante (le siège tremblait !). Et que dire de l’Opéra symphonique « Aria di Mezzo Carattere » ? Les trois choristes solistes ont la voix énergique et dramatique, mais toujours portante et assurée ; là encore, le final en apothéose est incroyable. Bien sûr, FF se dote également d’une chanson-thème à chaque épisode depuis le huitième. De sa voix romantique et chaleureuse, Susan Calloway nous interprète ainsi trois d’entre elles : « Eyes on Me » (FFVIII), « Memoro de la Ŝtono~Distant Worlds » (FFXI) et « Kiss me Goodbye » (FFXII).

Alors que tous les éléments étaient réunis pour que la soirée soit parfaite, quelques soucis sont venus un peu gâcher la fête. Certes, l’erreur est humaine, et quelques bévues dans un concert de plus de deux heures sont pardonnables, mais tout de même : les cuivres semblaient complètement à côté de la plaque pendant les trois quarts du concert, particulièrement dans « You Are Not Alone ». L’organiste, lui, a complètement bouffé sa partition dans « Dancing Mad ». Mauvaise préparation ? Pression ? Manque de talent ? Je ne sais pas, mais vu le standing supposé du concert et de l’orchestre, ainsi que le prix des billets, c’est un peu décevant. Quant aux arrangements, certains étaient un peu fades, notamment « Blinded by Light », le thème de combat de XIII composé par Hamauzu. Dans la version originale, le violon solo explose avec un énergie débordante ; ici, il était remplacé par l’ensemble des cordes dans une version beaucoup moins dynamique. On passe donc complètement à côté du point fort du morceau… Enfin, peut-être un peu plus discutable mais d’autant plus subjectif, la présence débordante de VII a presque rendu certains opus un peu transparents, comme IX ou XII pour ne citer qu’eux, alors même qu’ils regorgent également de thèmes tout aussi fabuleux. Mettons néanmoins de côté ces petites déceptions. Il serait malvenu de les laisser prendre le dessus sur ce qu’est réellement Distant Worlds : un bon moment, une fête, un hommage. Les acclamations lors du thème de Tina, qui fait office de « générique de fin » alors que défile sur les écrans géants l’introduction de VI, peuvent en témoigner ! Et puis, avez-vous déjà vu Uematsu monter sur scène et accompagner la chorale de « One-Winged Angel » ? Un moment assurément épique. Nos voisins Anglais peuvent être fiers d’avoir accueilli pareil événement, et pourront même bientôt se vanter de l’accueillir une seconde fois, puisqu’Arnie Roth a annoncé que le concert serait de retour là-bas le 17 novembre 2012. En attendant que vienne le tour de Paris.

– Clément

Merci à Florian A. pour la photo du Royal Albert Hall.

Press Start 2011 : Compte-rendu

Le 14 août dernier, Clément et moi-même nous sommes rendus pour la première fois à un concert Press Start, le sixième de la série depuis sa création en 2006.

[Programme détaillé du concert]

Ce qui donne sa couleur à ce concert, c’est d’abord son programme, presque exclusivement constitué de musiques de jeux japonais, dans la lignée des Game Music Concerts (1991 à 1996), mais aussi son comité de production composé de personnalités toutes en lien avec le jeu vidéo : Kazushige Nojima (scénariste), Nobuo Uematsu (compositeur), Masahiro Sakurai (créateur), Shôgo Sakai (orchestrateur et compositeur) et Taizô Takemoto (chef d’orchestre).

Cette année, il faut avouer que l’on attendait particulièrement le trio Xenoblade, NieR et El Shaddai, trois jolies révélations de l’année passée, et on n’a pas été déçu. La participation de Tomori Kudô, Chico (ACE) et de Manami Kiyota en tant qu’interprètes a ajouté plus de puissance à un medley Xenoblade déjà très vivant et varié. Certains diront que c’était « trop proche des versions originales », on leur répondra que l’argument semble un peu désuet en 2011, alors que la plupart des musiques de jeu sont enregistrées en studio ou avec des instruments virtuels extrêmement réalistes. De la même façon, le medley NieR a bénéficié de la douce voix d’Emi Evans, sans qui la musique de MoNACA n’aurait pas la même couleur, pour un résultat enchanteur. Si le medley d’El Shaddai n’a vu personne s’ajouter à l’orchestre philharmonique de Kanagawa, la patte du compositeur Masato Kouda était elle bien perceptible, comme s’il était présent sur scène. C’était personnellement mon premier contact avec la musique de ce jeu, mais il a été suffisamment fort pour estomper les critiques un peu fraîches entendues à son sujet et je jure d’y jeter une oreille attentive dès que j’en aurai l’occasion.

En dehors de ce trio gagnant, le medley Final Fantasy IV et « Toberu Mono » comptent parmi les succès « gagnés d’avance » du concert. Le premier a été l’occasion d’apprécier à l’orchestre la superbe « Into the Darkness », le thème de combat, le « thème principal » (thème de carte) ou encore « Rydia » ; le second d’entendre une interprétation très fidèle de la chanson-thème de The Last Story par la chanteuse Kanon. Lors de la séance du soir, ces deux pièces ont d’ailleurs été jouées sous les yeux du créateur des jeux en question, Hironobu Sakaguchi, qui a même été appelé sur scène pour une discussion très détendue avec Uematsu et Nojima.

L’orchestration de Spelunker n’avait rien de bien surprenant car ses mélodies ont été fidèlement reproduites, un peu comme dans l’album Pia-Com II, mais le public a beaucoup ri en réaction à l’apparition récurrente et inopinée du thème de « Game Over ». Même sans avoir fait le jeu, on pouvait deviner qu’il avait de quoi « offrir du challenge aux aficionados de jeux de shoot », comme disent les journalistes.

En rappel, pas un mais deux morceaux ! Le premier, un medley Xenogears, a arraché des cris de surprise à de nombreux spectateurs et de beaux souvenirs à bien d’autres. Le second, un medley Kid Icarus, m’a fait hurler de joie – intérieurement –, car j’adore Hirokazu Tanaka, dont la musique est rarement interprétée à l’orchestre.

Petit bémol personnel : certaines pièces m’ont semblé un peu décousues, notamment le medley Super Mario Galaxy… Difficile de dire néanmoins si cette impression de musique un peu brouillonne est de la responsabilité de l’orchestrateur, de l’orchestre (pas toujours irréprochable, cf. Distant Worlds Returning Home), du chef Takemoto… Ou d’une oreille moins concentrée à ces moments du concert ! Je n’oserai donc pas d’avis sur ces points. Cela étant, je suis en mesure de dire que Press Start était une belle fête pour les amateurs de musique de jeu d’hier et d’aujourd’hui et qu’il était difficile d’en sortir en faisant la grimace, quand bien même on aurait assisté aux sommets que sont Symphonic Fantasies, Legends et Odysseys les années passées, comme Clément et moi. Dans le hall d’entrée du Shinjuku Bunka Center, il était possible de mettre la main sur des bandes originales aux stands de Dog Ear Records et Procyon Studio mais aussi de croiser quelques personnalités comme Yôko Shimomura ou encore Nobuyoshi Sano, lui-même animateur/vendeur sur le petit stand de Detune. Nous en avons aussi profité pour saluer l’ami Dayotan, l’organisateur du festival 4star Orchestra dont il sera bientôt question sur le site !

Xenoblade, la bande originale à douze mains

Lorsque Xenoblade a été discrètement dévoilé à l’E3 2009 sous le nom provisoire de Modano: Beginning of the World, le mystère était encore grand autour de ce projet. Il existait pourtant une certitude à son sujet. En regardant la première vidéo montrée lors du salon, on reconnaissait sans mal la touche de Yôko Shimomura. Personne n’aurait pu deviner qu’elle allait en réalité être accompagnée de cinq autre compositeurs. Pour satisfaire les besoins de son jeu gigantesque, le réalisateur Tetsuya Takahashi (célèbre pour Xenogears et Xenosaga) a décidé de faire appel à une équipe musicale très large. Au final, la bande originale de Xenoblade compte pas moins de 90 morceaux. Comment Takahashi a-t-il constitué cette équipe inattendue ? Quels ont été les défis à relever pour assurer la cohérence du projet ?

De un à six

Yôko Shimomura était bel et bien le premier choix de Tetsuya Takahashi. Les deux créateurs se connaissent depuis l’époque de Square, où ils ont tous les deux travaillés plusieurs années. Ils n’ont été associés que sur un seul projet, Front Mission, en 1995. C’est pour apporter de la nouveauté par rapport à ses précédents jeux que Takahashi a porté son dévolu sur la compositrice, qui a finalement été chargée d’écrire le thème principal et les morceaux du début du jeu. Yasunori Mitsuda, collaborateur historique de Takahashi, n’est arrivé sur le projet que tard dans le développement, alors que le jeu venait d’être renommé en Xenoblade et que l’équipe cherchait quelqu’un pour écrire la chanson thème. C’est finalement assez naturellement qu’elle s’est tournée vers celui qui a déjà participé aux autres Xeno-. Mitsuda a ainsi composé la chanson de fin «Beyond the Sky».

Le format de la bande originale a néanmoins demandé aux développeurs de réfléchir à une équipe bien plus grande, notamment parce qu’ils voulaient que la musique change selon la situation : par exemple, selon le jour et la nuit ou l’état de santé des personnages en combat. Le gros des musiques a été composé par quatre musiciens peu connus dans le domaine : Manami Kiyota et le groupe ACE+ (CHiCO, Tomori Kudô et Kenji Hiramatsu). Tetsuya Takahashi les a rencontrés par le biais de Dog Ear Records, le label de Nobuo Uematsu, et leur a proposé d’écrire les musiques d’exploration et de cinématiques, avec comme tâche supplémentaire pour ACE+ de prendre en charge celles des combats. Ils n’ont pas hésité. Quand Kiyota a reçu la proposition de la part de Dog Ear, elle a bondi de joie. Elle était d’autant plus heureuse qu’elle allait travailler aux côtés de Shimomura et Mitsuda, dont elle a découvert les musiques en jouant à leurs jeux quand elle était encore au lycée.

Présentations

On ne présente plus Yôko Shimomura et Yasunori Mitsuda, qui sont devenus deux des noms les plus connus de la musique de jeu vidéo japonaise. Xenoblade est avant tout l’occasion de découvrir ses autres compositeurs, qui ont tous pour particularité d’avoir déjà travaillé pour Nintendo par le passé. Manami Kiyota, auteur-compositeur-interprète qui a déjà publié plusieurs albums solo, a en effet participé à la composition des musiques de PokéPark Wii avec Kenichi Koyano et Shigerô Yoshida. Elle a également interprété les chœurs du thème d’ouverture de Glory of Heracles sur DS. Xenoblade marque son premier projet majeur dans le domaine de la musique de jeu vidéo.

De son côté, le trio ACE+ est en réalité le duo ACE (CHiCO et Tomori Kudô) rejoint par Kenji Hiramatsu. Ces trois collaborateurs ont réalisé ensemble la bande originale du MMORPG Emil Chronicle Online mais la dénomination ACE+ est apparue pour la première fois à l’occasion de Xenoblade. CHiCO et Kudô ont travaillé pour Nintendo plusieurs fois, notamment pour Minna no Tamagochi World sur N64 et la série Robopon sur GameBoy. En 1999, ils se sont associés à Hiramatsu pour Bomberman 64: The Second Attack, aux côtés de Yasunori Mitsuda et Yoshitaka Hirota. Récemment, CHiCO a interprété la chanson thème de Luminous Arc 3 sur DS. De son côté, Hiramatsu est un grand fan de Nintendo et un joueur de longue date.

Unité et originalité

S’il fallait résumer les deux mots d’ordre de Tetsuya Takahashi, ce serait ceux-là. Le réalisateur a en effet fait de son mieux pour que les styles des compositeurs se rejoignent et pour que le joueur ne soit pas choqué par des changements trop brutaux. L’exigence de Takahashi était telle qu’il n’hésitait pas à refuser plusieurs fois un morceau avant que celui-ci soit exactement comme il le voulait. Il faut dire que, même s’il admet que la démarche peut sembler impolie, il allait jusqu’à donner à ses compositeurs des morceaux en guise d’exemple pour expliquer l’impression qu’il voulait donner à une scène. Une anecdote prouve toute l’exigence du réalisateur : pour le thème du prologue, il a demandé à Yôko Shimomura d’écrire une piste de 9 minutes qui colle exactement à l’action. Comme cela semblait trop difficile à la compositrice, il lui a finalement demandé de faire comme si elle écrivait deux pistes : «Prologue A» et «Prologue B». Pour Shimomura, ces deux pistes sont différentes en termes de rythmique mais partagent le même concept.

Bien sûr, le scénario n’en restait pas moins la meilleure source d’inspiration. Lorsqu’elle a découvert que l’histoire se déroulait sur deux géants fossilisés, Shimomura a par exemple ressenti une sensation étrange. Pour elle, ce monde inhabituel à la nature gigantesque et au ciel infini est ce qui fait toute la singularité de Xenoblade. Kenji Hiramatsu était lui aussi fasciné par l’immensité du jeu, notamment lorsqu’il a découvert qu’il pouvait se rendre jusqu’à la la falaise qu’il voyait au loin. CHiCO, elle, était si absorbée par le scénario qu’il lui arrivait d’en réciter les dialogues à voix haute. Pourtant, après sa première rencontre avec Tetsuya Takahashi, elle était restée sur une impression confuse du travail qu’elle devait accomplir. Alors que le réalisateur lui avait certifié qu’ils devaient tous travailler tout à fait naturellement, il avait précisé qu’il ne voulait pas qu’ils composent de la musique typée RPG.

L’une des directives de Takahashi était d’utiliser une grande variété d’instruments pour que le jeu ne semble pas monotone. Yôko Shimomura a par exemple cherché à utiliser des sonorités un peu différentes, telles que la guitare électrique ou des sons mécaniques, pour retranscrire la thématique de l’affrontement des humains contre les machines. Elle a tout de même intégré l’un de ses instruments préférés, le violon. Les autres compositeurs ont eux-mêmes participé à l’interprétation des différents morceaux. Manami Kiyota et CHiCO font les chœurs sur certaines pistes, tandis que Tomori Kudô et Kenji Hiramatsu jouent respectivement de la guitare et du synthétiseur. En fin de compte, le travail de longue haleine de Kiyota et ACE+ les a rapprochés à tel point qu’ils sont devenus bons amis. Ils se rendaient régulièrement les uns chez les autres pour se soutenir.

Au-delà du ciel

Tetsuya Takahashi ayant déjà travaillé plusieurs fois avec Yasunori Mitsuda par le passé, il savait qu’il pouvait lui faire confiance lorsqu’il lui a confié l’écriture de la chanson thème de Xenoblade. Au moment où la proposition est arrivée, le jeu était presque finalisé, ce qui a permis à Mitsuda de s’imprégner de tout le travail déjà réalisé. Sa première demande a été de lire le scénario entièrement, même s’il craignait ne pas avoir assez de temps pour cela. Lorsqu’il a atteint la dernière ligne, il s’est immédiatement dit que c’était bel et bien un jeu de Takahashi. L’idée de Mitsuda était de faire en sorte que sa chanson serve d’aboutissement à toutes les autres musiques du jeu, mais cela lui a posé quelques difficultés. Ce n’était pourtant que le début, car une fois la mélodie composée et la partie instrumentale enregistrée, il lui fallait avant tout trouver la bonne interprète. Ses recherches étant infructueuses, il alla même jusqu’à lancer un appel sur son blog en janvier 2010.

Au bout de plusieurs auditions, ils ont finalement retenu la chanteuse d’origine australienne Sarah Àlainn. Elle s’est distinguée des autres candidates en demandant à chanter directement en studio. Étonnamment, sa voix était différente de celle que Mitsuda attendait. Alors qu’il pensait faire chanter la musique par une interprète à la voix puissante, celle de Sarah Àlainn est plutôt classique. Comme Mitsuda est quelqu’un d’exigeant, il a fait réenregistrer la chanson plusieurs fois pendant un mois afin d’être sûr d’obtenir ce qu’il cherchait. Malgré tout, Àlainn a persisté jusqu’au bout pour donner naissance à la «Beyond the Sky» qui sert désormais de thème de fin à Xenoblade.

Longue de 4 CD et riche de 91 morceaux, la bande originale de Xenoblade a été publiée le 23 juin 2010 au Japon par le label Dog Ear Records.

Source : Iwata asks traduit par Andriasang