En trois années et autant de concerts Symphonic, le producteur allemand Thomas Böcker aura rendu la ville de Cologne incontournable pour les amateurs de musique de jeu vidéo. Après Shades en 2008, Fantasies en 2009 et Legends en 2010, Böcker et l’orchestre philharmonique de Cologne s’attaquent avec Odysseys à un monument de la musique de jeu : Nobuo Uematsu. Outre ses arrangements flambants neufs, Odysseys propose une autre originalité : pour la première fois dans un concert symphonique dédié à Uematsu, Final Fantasy n’est pas la seule série à l’honneur. C’est bel et bien la carrière entière de l’artiste qui est passée au peigne fin, du méconnu King’s Knight au très récent The Last Story. Jonne Valtonen signe la majorité des arrangements, bien qu’il soit suppléé par Roger Wanamo et Jani Laaksonen le temps de trois morceaux ; Benyamin Nuss est au piano, et Arnie Roth dirige toujours l’orchestre (voir le programme complet).
L’origine du mythe
La salle du Kölner Philharmonie n’a pas changé, toujours aussi belle et lumineuse, confortable et chaleureuse. Le cadre idéal pour profiter d’un concert-hommage au compositeur le plus apprécié de la sphère VGM. Après une séance de dédicaces interminable, Uematsu prend place dans les gradins. Il est radieux et semble, comme toujours, d’humeur joviale. Le public lui réserve un triomphe encore plus retentissant qu’aux musiciens, pourtant accueillis par un tonnerre d’applaudissements. Le concert débute par une fanfare d’ouverture qu’on penserait sortie d’un des jeux du compositeur, sonnante et triomphante. Une entrée en matière plutôt agréable, mais que ne prépare en rien à ce qui suit. Ce qui suit, c’est un concerto pour piano de Final Fantasy concocté par Wanamo. Vous pensiez avoir tout entendu de la série ? Vous pouvez balayer ces certitudes d’un revers de main. Dans ce medley de vingt minutes, plusieurs thèmes emblématiques de la saga vont et viennent, s’entremêlent, nous caressent de leur douceur, nous explosent à la figure. Passer de la grâce aérienne du thème de Celes à une fusion parfaite entre « Fierce Battle », « Battle on the Big Bridge » et « Battle with the Four Fiends » est tout bonnement incroyable. Au cœur de ce tourbillon d’émotions, Nuss semble voler sur son piano, de touche en touche, de thème culte en thème culte, de son jeu de mains fluide et gracieux. L’homme est un virtuose, et son talent élève ce concerto dans des strates quasi divines. Cela fait donc moins d’une demi-heure que l’on est dans la salle, est l’on a déjà pris un coup. Un gros. Pas une petite claque sympathique, non : c’est un K.O. d’entrée de jeu, le genre dont on ne se remet pas facilement. Si bien que la candeur du morceau suivant, tiré de King’s Knight (Vous connaissiez ? Moi non plus), paraît presque insignifiante.
Et pourtant, l’arrangement conserve un côté épique old school sonnant Uematsu de bout en bout, notamment grâce à des instruments originaux tels le kazoo ou la crécelle. Après cet interlude récréatif, le calme s’empare du Philharmonie lorsque les chœurs entonnent l’air de « Silent Light » de Chrono Trigger. Une version a cappella assez angoissante, dont la simplicité tranche avec le pompeux habituel de l’orchestre ; c’est bien la voix humaine que Valtonen chercher à mettre en avant avec cet arrangement surprenant (rappel pour celles et ceux qui l’ignoraient : oui, Uematsu a bien participé à la bande son de Chrono Trigger). Je passe rapidement sur l’héroïque Final Fantasy Legend I & II, et pour cause : loin d’être de mauvaise facture, l’arrangement est assez quelconque et manque d’un thème réellement marquant. Avant de prendre une courte pause, nous sommes invités à un dernier périple, pour Zanarkand cette fois, avec un arrangement magistral de « A Fleeting Dream », le thème principal de Final Fantasy X. Le motif récurrent du thème s’immisce dans les esprits à mesure que l’orchestre s’étoffe, amenant progressivement la salle dans un état de rêve éveillé… jusqu’aux applaudissements signalant la fin de cette première partie. Entracte.
Les jours présents
La deuxième partie du concert nous conte les aventures du Uematsu contemporain, libéré de tout contrat avec Square Enix. Les jeux Mistwalker sont notamment à l’honneur, comme par exemple le récent The Last Story et sa chanson thème « Toberu Mono ». Elle se transforme ici en une douce ballade dans laquelle le violon et le violoncelle se répondent constamment en reprenant la mélodie principale. Si l’arrangement semble un peu facile, il n’en est pas moins extrêmement efficace et touchant. Bien qu’il n’en soit plus le compositeur attitré, n’oublions pas que Uematsu a fait son retour sur la série Final Fantasy avec FFXIV. Valtonen nous propose donc un arrangement de « On Windy Meadows » d’abord porté par un flûte légère, puis alternant régulièrement entre envolées lyriques et musique nomade reposante. Le résultat est tout à fait captivant ! Vient ensuite le tour de Blue Dragon, avec le morceau « Waterside ». La mélodie simple au piano est ici remplacée uniquement par les cordes de l’orchestre. Imaginez un océan et laissez-vous bercer : les cordes représentent les vagues, sur lesquelles navigue le premier violon avec grâce et mélancolie. Le calme avant la tempête.
Car le point final, le point de d’orgue de ce concert, c’est tout de même la Suite Lost Odyssey. En tant que Suite et conclusion de l’événement, j’en attendais une qualité similaire aux précédents travaux de Valtonen sur Fantasies et Legends. Elle débute de bien belle manière par le somptueux thème principal, puis reprend cinq pistes de la bande son en alternant habilement entre des passages sereins et d’autres beaucoup plus musclés. « A Mighty Ennemy Appears! » et « Dark Saint » nous sont ainsi proposées dans des versions puissantes particulièrement sauvages, alors qu’elles étaient plus modérées dans leurs versions originales respectives. Si les choristes y sont pour beaucoup, ce n’est rien en comparaison des cinq (!) percussionnistes qui se déchaînent sans concession pendant ces passages guerriers. Evidemment, des thèmes bien plus calmes s’intercalent, dont l’attristant thème de Tolten ou le solennel « Light of Blessing », toujours dans un ton sombre faisant écho à l’univers tragique du jeu. Mais revenons aux chœurs : ils jouent un rôle crucial lors des différentes reprises du thème principal. C’est sans doute le plus beau jamais composé par Uematsu, et Valtonen nous le rappelle régulièrement, soit discrètement par quelques notes de violon, soit franchement lorsque tout l’orchestre (orgue inclus) reprend « Epilogue (Main Theme Reprise) ». Cette dernière est d’ailleurs amenée par un violoncelle déchirant de beauté, avant de se muer en marche épique et de se conclure alors que la lumière se tamise peu à peu au son de clochettes apaisantes. C’est la fin du concert, et je suis absolument soufflé.
Encore un petit peu
Après une demi-douzaine de salves d’applaudissements mérités, les musiciens reprennent du service pour non pas un, mais deux rappels ! Le premier est un arrangement du thème de fin de Final Fantasy X réalisé par… Masashi Hamauzu. Le piano y a donc une place prépondérante, et bien que cette version soit plus courte que l’originale, elle est tout aussi splendide, tragique et émouvante. Et nous avons donc droit à un deuxième bonus, qui n’est autre qu’un medley de thèmes de combats de Final Fantasy VII. Quoi de plus naturel que de finir sur le jeu le plus populaire auquel ait participé Uematsu ? Le morceau commence par un arrangement de « Those Who Fight » très proche de la version de Fantasies, c’est-à-dire magnifiquement puissant. Arrivent alors les premières notes de « One-Winged Angel», aussitôt interrompues par quelques percussions. Un ultime pied-de-nez de Valtonen, qui s’amuse avec ses auditeurs et prouve, encore une fois, qu’il a tout compris. «J-E-N-O-V-A» et « Birth of God » prennent finalement le relais afin de terminer en apothéose un concert d’ores et déjà mythique.
J’aimerais rajouter quelques lignes un peu plus personnelles. Vous aurez compris quels morceaux m’ont les plus marqué, mais laissez-moi vous répéter ceci : « A Fleeting Dream » et « On Windy Meadows » sont absolument superbes. Et je ne vous parle même pas du concerto Final Fantasy, je risquerais d’inventer des mots (splendifique, bouleversifiant). Toute la petite troupe de Cologne était au top cette année encore, de Valtonen à Roth en passant par tous les musiciens. Cerise sur le gâteau, Nobuo Uematsu était, comme à son habitude, rayonnant, drôle, et débordant d’énergie. Plus encore que ses compositions, je crois que c’est l’être humain que j’aime énormément. Et puis, cette Odyssée m’a donné l’occasion de revoir un fois de plus mes amis-qui-aiment-la-musique-de-jeu et ça, ça n’a pas de prix.
– Clément
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Après avoir pris de plein fouet Symphonic Fantasies dans les oreilles et savouré les moments les plus merveilleux de Symphonic Legends, comment ne pas se rendre à Symphonic Odysseys en sautillant, certain de trouver à l’arrivée une nouvelle brique à l’édifice de la musique de jeu vidéo faite œuvre classique ? Mais l’audace de Jonne Valtonen, jusque-là admirable, peut-elle un jour engendrer un échec ? Et sachant que l’on serait de toute façon surpris, ce concert était-il réellement une surprise ? Que de sentiments en pagaille au moment où l’on pose le pied dans la merveilleuse salle du Kölner Philharmonie. Emporté dans un concerto pour piano sur Final Fantasy dont le deuxième mouvement est glaçant de poésie, aplati sous l’immensité orchestrale d’une « A Fleeting Dream » transcendée, baladé sur l’océan infini d’une « Waterside » frémissante, ballotté entre la mélancolie déchirante et la furie guerrière de Lost Odyssey… Les doutes se sont envolés depuis longtemps et les mains rougissent de ces applaudissements qui n’en finissent plus, acclamation tant à l’homme qui nous a tous réunis qu’à ceux qui ont élevé ses compositions et à cet orchestre grandiose. Il y a bien eu quelques moments de doutes : une « Silent Light » monotone, des versions orchestrales juste correctes de King’s Knight et Final Fantasy Legend, une « On Windy Meadows » parfois brouillonne… Mais rien qui ne puisse entacher le plaisir et les émotions intenses. Un très grand concert, une fois de plus.
– Jérémie
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Après les magistraux et audacieux Symphonic Fantasies et Legends, je ne pouvais définitivement pas m’abstenir de revenir à Cologne pour un concert dédié à la carrière de mon compositeur favori. Particulièrement heureux d’avoir pu retrouver cet engouement collectif au côté de mes amis amoureux de musique de jeux et d’avoir pu à nouveau saluer Nobuo Uematsu, les premières notes parviennent enfin à mes oreilles. En admirateur exigeant, je vous mentirais en disant n’avoir ressenti aucune déception au sortir de cet événement, notamment en constatant l’absence pure et simple de Final Fantasy VIII et IX ou la répétitivité de certaines reprises comme « Silent Light » ou « On Windy Meadows », pourtant dotées d’une approche intéressante. De même, je ne ressors pas complètement convaincu de la Suite de Lost Odyssey, malgré certains moments superbes, dont un final hypnotisant. Fort heureusement, ces déceptions ne pèsent pas bien lourd face aux moments culminants de ce concert, à savoir « A Fleeting Dream » et sa montée en puissance fabuleuse, et le Concerto de Final Fantasy, déchirant de beauté, riche et foisonnant de références. Plus sobres, les autres reprises n’en demeuraient pas moins de grands moments de bonheur, notamment le medley de Final Fantasy Legend, ainsi que la reprise de « Toberu Mono » ou encore le dernier rappel dédié à Final Fantasy VII. Vous l’aurez compris, cette superbe rétrospective fut portée avec grâce par les arrangeurs et musiciens mais aussi par le talent et le plus beau sourire de Nobuo Uematsu.
– Julien
Photos : facebook de Spielemusikkonzerte