par Jérémie » 06 Sep 2011, 10:23
C'est pourtant la vérité...
Il faut que je vous raconte l'histoire : c'était un soir d'octobre 2009, Denys F. (il a préféré rester anonyme) vint me voir, habillé de son costume 3 pièces habituel, dans mon luxueux hôtel privé de la banlieue chic de Bourg-Salut. Il tambourina à la porte pendant de longues minutes, la respiration chuintante, le souffle visiblement coupé par une nouvelle fulgurance. Entendant le ramdam, je quittai mon bain à mousse dans lequel je m'étais glissé quelques instants plutôt, enfilai ma robe de chambre en poil d'autruche et me dirigeai séance tenante vers la porte ainsi battue par une main impatiente. Lorsque je l'ouvris, j'eus à peine le temps de voir un éclair se faufiler dans mon douillet logis, prendre sans attendre la direction du réfrigérateur, attraper avec hâte et pourtant avec soin une bouteille de jus de mangue et se jeter, soulagé, dans un fauteuil de mon salon éclairé par la chaleur dansante de la cheminée.
« Je tiens une idée formid' ! s'exclama-t-il, alors que j'avançais, éberlué, vers ce fantasque personnage. J'étais en train de décortiquer une de mes arbalètes à saucisse lorsqu'elle est venue à moi. »
Curieux, je m'installai dans un fauteuil jouxtant le sien. Il porta la bouteille à sa bouche et en but plusieurs gorgées, apaisant ainsi non seulement sa soif physique, mais aussi son immense excitation, sa soif de partage.
« Je sais, par les racontars nombreux, que tu te lamentes désespérément de la perte de ton Squaremusic, poursuivit-il, me lançant un regard compréhensif. J'ai senti ton spleen. »
Il avait raison. Depuis que j'avais abandonné, le cœur noué, la confection de mon site, j'étais inconsolable. Une passion féroce, dévorante, terrifiante pour la musique de ces jeux vidéo, m'animait encore, mais était désormais tue par l'absence de tribune.
« J'ai trouvé un moyen de ranimer ta flamme, mon vieil ami. »
Je levai l'oreille, impatient d'entendre sa trouvaille
« Recréons un sujet "Humour & compagnie". Tu trouverais là tout forum à ton expression insensée ! »
C'était bien cela. Orphelin de ce sujet inimitable d'absurdité, je me morfondais, famélique de rire, dans un monde redevenu terne. Tout Squaremusic n'avait été que le prétexte à cette immense effusion de joie, traversée d'impacts comiques, qui illumina ma vie et de nombreuses autres pendant de belles années ; l'âge d'or de ma présence sur le réseau. Denys, esprit qui me comprenait, avait soulevé la vérité. Nous devions refonder cette institution. Sans attendre, nous nous mîmes à l'ouvrage et établîmes les fondations du renouveau en fondant ce forum ; en générant ce sujet, lui prêtant espoirs infinis, laissant entre ses mailles le potentiel enfin palpable d'une résurrection des hilarités passées.
Nous comprîmes vite que cela n'aurait guère suffi à justifier une quelconque agitation.
Dans notre hâte, nous partîmes en quête de personnages capables de glisser un sol sous ce sujet renouvelé, d'empiler sur lui des briques sérieuses.
« Prenons ma Simca ! s'exclama Denys. Allons trouver main d'œuvre. Il nous faut un Squaremusic autour de cet Humour & compagnie. »
Au volant de son bolide, Denys était un as. Filant dans les ruelles de Bourg-Salut, il chercha un candidat à notre mascarade. Après quelques tours, nous vîmes un quidam velu qui faisait de l'auto-stop au bord de la route. Denys freina si brutalement que je fus projeté hors de la Simca et j'atterris sur ledit quidam.
« Je m'appelle Clément, me prévint-il, écrasé au sol, alors que je me relevais péniblement. J'aime Sakuraba Motoi car c'est le meilleur.
- Saisis-le ! hurla Denys, brandissant le poing par la fenêtre de sa voiture. Je connais ce malandrin, il abat le travail comme nul autre. »
Nous étions maintenant trois. Pourtant, un malaise nous gagna vite. Nous comprîmes que cela ne suffirait pas à mettre en forme le trompe-l'œil. Sentant que les aventures en Simca ne seraient guère fructueuses, Denys nous invita à une promenade dans le parc luxuriant de Bourg-Salut. La nuit tomba bien vite, nous laissant seuls au milieu de cette nature urbaine et pourtant hostile. Les arbres nous regardaient, gourmands de nos vies apeurées, sourds à nos vœux de vie vouée à la reconstruction de l'Humour & compagnie. Chaque branche que nous caressions par mégarde alors que nous progressions, pas à pas, nous faisait tressaillir comme un seul être. Après de longues minutes de marche, une éternité en fait, nous découvrîmes une petite clairière baignée par la lumière apaisante de la lune. Au milieu de celle-ci, une forme semblait allongée dans l'herbe. Prudents, nous fîmes quelques pas, jusqu'à apercevoir ce qui était en réalité un jeune homme qui, le regard abandonné, contemplait la voûte céleste. Le pied de Clément fit craquer une branche tombée, ce qui attira l'attention du jeune homme.
« Je vous attendais, dit-il sans détourner le regard. Dame Manami me l'a dit. En ce lieu et en chaque nuitée, nous communions ensemble. Elle m'avoue sa sensibilité, me prête sa voix d'ange, me conte nos futurs. Elle vous a vus. »
Intrigués mais rassurés, nous nous assîmes auprès de cet individu mystique.
« Je m'appelle Julien, continua-t-il de sa voix chaude et reposante. Seul depuis longtemps, je cherche papier à mes évocations. Offrez-moi la plume et je la manierai jusqu'à la déraison, fidèlement engagé auprès de Dame Manami pour raconter sa Merveille au peuple de ce monde ; je serai votre allié. »
Quelque peu interloqués par les paroles volatiles de cet éphèbe ensorcelé, nous convînmes qu'il serait à la hauteur de la tâche qui nous décombe. Denys lui tendit la main et l'aida à se relever, tandis que Clément, méticuleux, lui tapa doucement le dos pour en dégager les quelques herbes et la poussière qui souillaient encore sa chaste carrure. Ce Julien attrapa alors un sac à dos.
« J'ai quelque chose qui pourrait vous aider », assura-t-il en plongeant la main à l'intérieur.
Il en sortit un petit personnage agité, qu'il posa tendrement dans l'herbe.
« Je l'appelle Olivier, ajouta Julien. Il est difficile de gagner son appréciation, mais au fond de lui, il est aussi avide que vous et moi.
- Ce n'est pas un problème ! fit alors Denys. Toute aide est la bienvenue. Notre entreprise est assez volumineuse pour accueillir tout cœur passionné. »
Je respirais enfin : nous pouvions parvenir à nos fins.
Rapidement, la couverture fut prête. Un site entier, parfaitement complet, encadrant l'Humour & compagnie, parfait déguisement pour repartir sur des bases nouvelles. Bientôt, le son du doute serait couvert par les échanges d'éclats de rire.
Ainsi était né Musica Ludi.
Ainsi était né le plus beau des prétextes.