Mon premier, en encres lumineuses, avec New York pour décor, s'appelle Blue Moon et a pour héros Ahmad Jamal, l'un des pianistes les plus novateurs du jazz. Mon deuxième, Nothing for Granted, présente la chanteuse Sandra Nkaké, photo en noir et blanc avec micro à l'ancienne, pour un recueil aux airs soul. Mon troisième, le pianiste Roberto Fonseca s'affiche fièrement sous le titre de Yo dans un registre afro-cubain. Ce sont les premiers disques d'une nouvelle maison, Jazz Village, initiative de la société Harmonia Mundi, fondée en 1958, l'une des premières entreprises indépendantes dans le secteur de la musique enregistrée en France.
Fonder un label de jazz dans un marché du disque encore convalescent (- 3,9 % de chiffre d'affaires en 2011 par rapport à 2010), sur un genre qui représente grosso modo 5 % des ventes, cela ressemble au premier abord à une folie. Pascal Bussy, directeur artistique et éditorial chargé du jazz et des musiques du monde chez Harmonia Mundi, s'en amuse. Et tempère cette perception. "Ici, il n'y a pas de folies mais des visions, résultats d'un savoir-faire, une expertise, une histoire en matière de production, d'édition, de distribution. On a vu régulièrement des labels qui montaient en puissance trop vite, accumulaient des signatures sans avoir le temps de les travailler... Ce n'est pas la politique de la maison."
Jazz Village a sur son planning une dizaine de sorties pour 2012. Et entend avancer avec "sagesse ", explique Pascal Bussy, entré dans les métiers du disque chez Island au début des années 1990 puis passé chez la major Warner Music avant de rejoindre Harmonia Mundi en 2006. Le catalogue devra se construire avec un tiers de productions maison et deux tiers de licences - l'achat du droit d'utilisation d'un enregistrement pour une durée déterminée.
Côté dépenses, les budgets varient de 15 000 à 30 000 euros et de 10 000 à 15 000 pour le marketing (publicité, concerts...). Avec un point de rentabilité allant de 8 000 à 15 000 ventes. "Nous avons un réseau fort en France, avec les boutiques de la maison, des accords de distribution monde avec des structures solides. " Un atout indéniable pour Jazz Village dont les responsables travaillent étroitement avec les tourneurs et organisateurs de concerts. La scène est un maillon indispensable à une époque où le disque seul ne suffit plus.
Visuellement, Jazz Village joue sur l'attachement du public du jazz à l'objet disque, même "s'il est possible dans le futur que certaines productions ne soient publiées qu'en numérique". L'équipe de production dirigée au siège social, à Arles, par Christian Girardin, a conçu un logo et une griffe pour le nom du label, et chaque pochette doit évoquer ce que la musique propose. Les enregistrements, le mastering sont suivis avec attention. Tout cela semble évident mais, en matière de jazz, il suffit au journaliste de revenir à la pile des productions envoyées chaque mois pour constater que c'est loin d'être la règle.
Dernier point, la diversité d'approche du label. "Intègre mais pas intégriste", résume Pascal Bussy. Son oeil pétille ; cela pourrait faire un bon slogan.
http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/02/09/une-nouvelle-maison-pour-le-jazz_1641187_3246.html
Vu l'état du marché du CD en France, ça fait plaisir de voir ce genre d'initiatives, d'autant qu'elle semble être accompagnée d'une politique éditoriale cohérente. Le CD d'Ahmad Jamal est vendu 16€90 sur le site de vente en ligne d'Harmonia Mundi, encore moins sur Amazon (13€96), bref, qu'on dise pas que c'est cher !