Critique : Silent Hill 2 Original Soundtracks

Critique de Florian

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Pistes coup de cœur :
Theme Of Laura – Promise (Reprise) – Terror In The Depths Of The Fog

Quand il sortit en 1999, le premier volet de la saga Silent Hill laissa peu de joueurs indifférents. Le genre « survival horror » avait beau être encore très jeune, le jeu de Konami Tôkyô en proposait déjà une approche radicalement nouvelle : là où ses prédécesseurs (Resident Evil en tête) misaient avant tout sur l’omniprésence du danger, soulignée par une mise en scène extrêmement tendue et pleine d’effets spectaculaires, pour inspirer la peur au joueur, Silent Hill jouait la carte de l’horreur psychologique. L’univers dans lequel il nous plongeait n’était pas seulement hostile, il était aussi et surtout horriblement malsain, plein de perversions, portant les horribles plaies que lui avaient infligées des rituels sectaires sadiques. Inspiré par cette démarche, Akira Yamaoka demanda lui-même aux producteurs du jeu qu’ils lui en confient la bande sonore. Il écrira alors une musique particulièrement radicale, totalement déstructurée, faite de collages de sons lugubres et étouffants. Tellement radicale, en fait, que les créateurs du jeu eux-mêmes eurent du mal à l’accepter : quand Yamaoka leur fit écouter ses créations pour la première fois, l’un d’entre eux les trouva tellement bizarres qu’il finit par se lever et aller vérifier les branchements du système sonore, croyant à un problème technique ! Le grand succès critique du jeu et de sa bande son leur donnera toutefois raison de s’être finalement laissé convaincre.

sh2-1Silent Hill 2, sorti deux ans plus tard, conserve l’essence de son aîné, mais adopte un ton profondément différent. À l’horreur pure du premier épisode succède un drame humain beaucoup plus complexe, explorant des émotions plus vives et profondes. Symbole de ce changement : alors que le personnage principal de Silent Hill 1 se retrouve piégé dans la ville malgré lui (l’élément déclencheur de son histoire étant un accident de voiture), James Sunderland s’y rend de son plein gré, suivant les directives d’une mystérieuse lettre prétendument signée de la main de sa femme, pourtant décédée quelques années plus tôt. C’est donc, à bien y réfléchir, sur une note d’espoir que s’ouvre Silent Hill 2 : et si James pouvait vraiment retrouver l’être qu’il aime ? Et si la peine qui l’accable depuis sa disparition pouvait enfin prendre fin ? Traduit musicalement, cela donne « Theme of Laura », le mythique thème principal du jeu ; une magnifique ballade rock aux accents mélancoliques, mais contrebalancés par une rythmique forte et entraînante. Il y a dans cette composition ce qu’il faut d’allant, d’optimisme et de douceur, pour que la tristesse qu’elle porte en elle ne se transforme jamais en désespoir.

sh2-2Bien sûr, la peur reste l’élément central de Silent Hill 2. Et Yamaoka, avec sa double casquette de compositeur et de concepteur des effets sonores, ne manque pas de nous le rappeler régulièrement avec quelques musiques bruitistes absolument pétrifiantes, proches de celles du premier épisode. Mais ces morceaux d’effroi absolu ne constituent plus la majorité de la bande son. Au contraire, ils se font finalement assez rares… ce qui ne fait que renforcer leur impact. Ainsi, sur la bande originale, la première piste de ce genre n’arrive qu’en septième position. Avant elle, se déroule tout une longue introduction dont on retient surtout l’émotion (« Forest » et les frêles lignes dessinées par son piano électrique…) et le pouvoir d’envoûtement (la lenteur hypnotique de « White Noiz », les ondulations quasi-minimalistes accompagnant le piano de « Promise (Reprise) »). On est donc plongé dans un étrange sentiment d’apaisement et de fascination, voire d’hallucination, quand survient la violente agression « Ashes and Ghost », avec ses battements frénétiques, son fond sonore aussi diffus qu’assourdissant. Le reveil est brutal, le sentiment d’urgence que porte le morceau vous saisit à la gorge avec une force mémorable.

Mais ce qui fait de cette « Ashes and Ghost » une pierre tournante du disque, c’est aussi sa deuxième moitié, qui bascule dans une toute autre ambiance, lancinante et oppressante, bâtie par les sons d’un souffle suffoquant et de râles sinistres. Pour provoquer le malaise chez l’auditeur, Yamaoka fait le choix de créer une expérience auditive profondément épidermique, qui vous semble émaner de votre propre corps. Car si votre esprit aura tôt fait d’attribuer ce souffle à quelque monstruosité hantant la ville, c’est en vérité votre propre respiration paniquée qu’elle vous évoque et vous donne à entendre. Tout comme, plus tard, ce seront les battements de votre propre cœur que vous entendrez surplomber les dissonances titubantes de « The Darkness That Lurks In Our Mind » et les grincements sordides de « Block Mind ».

sh2-3Ces effets de pulsations cardiaques et pulmonaires se révélent être le fil rouge de toutes les pistes d’ambiance du jeu. De la forme très concrète et littérale qu’ils prennent dans les morceaux les plus torturés, ils vont ailleurs glisser vers des formes plus imagées, plus musicales : les respirations se transforment en harmonies, les battements de cœur deviennent un beat. En même temps que ces bruits se métamorphosent en un ambient/downtempo sinueux, l’inconfort physique que l’on ressent laisse place à une transe profonde, sensuelle, même parfois quasi-charnelle (la pudeur des tintinnabulements aériens de « The Day of Night » le disputant à la rythmique lascive de « Heaven’s Night »). C’est en oscillant constamment entre ces deux états que les compositions de Yamaoka confèrent à Silent Hill 2 son atmosphère si particulière. Sa musique est en équilibre instable, et est une parfaite représentation du combat que James mène pour ne pas sombrer dans la folie : s’il n’a pas encore totalement renoncé à la lumière, la chute vers les ténèbres menace de survenir à tout instant.

A cette tension, Yamaoka propose plusieurs résolutions possibles, chacune correspondant à une des différentes fins de scenario que le jeu propose. Sans doute dans le but de rendre l’écoute plus variée et homogène, ces morceaux ne sont pas tous placés à la fin de la bande originale du jeu, mais disséminés tout au long de l’album, comme des sortes d’interludes. Chacun d’entre eux adopte un ton bien spécifique, du noise-rock brutal de « Angel’s Thanatos » à la plus calme « Love Psalm », en passant par la dansante instru hip-hop « The Reverse Will ». Mais deux de ces morceaux en particulier méritent l’attention. Le premier, « Theme of Laura (Reprise) », est le plus singulier, d’abord parce qu’il n’illustre pas à proprement parler l’une des fins du jeu, mais la conclusion de l’histoire d’un de ses personnages secondaires (qui n’est pas Laura, aussi logique que ça puisse paraître) ; mais aussi et surtout par sa forme. Loin des sonorités amples de ses congénères, cette reprise du thème principal n’en retient qu’un motif mélodique très simple, et efface tout accompagnement rythmique. Et c’est ainsi que violon et piano se retrouvent seuls ou presque en tête à tête, pour chanter ce thème autrefois plein d’espoir, désormais transformé en une élégie terriblement déchirante.

sh2-4Le deuxième de ces épilogues notables est celui que Yamaoka aura finalement choisi pour conclure son album. « Promise », puisque c’est de lui qu’il s’agit, est le plus serein de tous, le plus mélodieux aussi. Sa sonorité est très proche de celle de « Theme of Laura », malgré son rythme bien plus lent. On peut ainsi voir ce choix comme un moyen de fermer l’album en « bouclant la boucle ». Mais à titre personnel, je préfère l’interpréter comme une note d’intention, un acte de bienveillance de la part de Yamaoka, qui souhaite avec ce morceau nous rassurer, et s’assurer que malgré toutes les frayeurs, nous retenions de l’album un message positif. Après tout, après nous avoir remué les tripes et maltraité l’esprit comme il l’a fait, il nous doit bien ça !

Avis : Excellent