Critique : Diablo II Soundtrack

Il n’est pas simple de confectionner une ambiance musicale captivante, qui soit suffisamment prenante tout en restant effacée. Produire une ambiance, c’est accepter que cette musique semble naturellement suinter des décors de son jeu, qu’elle sache trouver les sons les plus appropriés, non sans rester originale.

Pour que la démarche soit couronnée de succès, le compositeur doit alors reposer avant tout sur la qualité propre de son style… trouver les meilleurs instruments et savoir les associer. Matt Uelmen a ainsi su donner aux deux premiers Diablo un souffle primordial unique, battu, sali, raclé par des grondements souterrains, des râles surnaturels, les palpitations inquiétantes d’un air vicié… À l’époque du premier Diablo, Blizzard n’avait pas publié de bande originale, laissant les joueurs apprécier les musiques d’Uelmen dans les champs et les donjons pour lesquels elles avaient été conçues. La plus mémorable restera le thème de Tristram, sans doute l’incarnation musicale de l’esprit de Diablo. L’erreur a été corrigée pour le deuxième volet de la série, dont la bande originale était proposée dans l’édition collector du jeu. Elle est désormais disponible sur iTunes.

Dans Diablo II, c’est la piste « Wilderness » qui donne le ton. Morceau de huit minutes illustrant l’environnement pastoral de l’acte 1, il ne plonge pas encore dans les ténèbres mais illustre déjà une nature flétrie, obscurcie par un mystère encore indistinct. Impossible de ne pas se laisser emporter par les touches de post-rock qui, mêlées à des soulèvements plus dramatiques, créent un paysage sauvage et nébuleux à la fois. Dans cet univers bien morose, les interventions de la pedal steel guitar viennent électriser brutalement l’atmosphère.

La piste s’enchaîne sur « Rogue », plus douce mais imprégnée de la guitare à 12 cordes d’Uelmen, instrument irrémédiablement associé à l’ambiance Diablo. C’est un étrange esprit médiéval que le compositeur a réussi à créer, comme si les châteaux et les chevaliers se trouvaient soudain transportés dans le sud-est des États-Unis. L’impossible voyage se prolonge quelques instants encore dans « Sisters », l’occasion d’apprécier aussi l’apport toujours plus métallique du hammered dulcimer…

Et c’est bien dans ces mélanges d’inspirations que la bande originale de Diablo trouve sa variété, peu importe qu’elle soit couverte d’un voile. Matt Uelmen, bien au-delà d’un simple univers médiéval, joue superbement avec les différentes musiques du monde : il a puisé dans les musiques africaines (notamment les passages au djembé dans « Desert », efficaces bien qu’assez attendus), mais surtout asiatiques pour illustrer les environnements plus exotiques du jeu. On trouvera ainsi un mélange assez surprenant d’instruments chinois et indiens dans des pistes telles que « Sanctuary », dont le chant central est tout à fait saisissant.

« Toru » plonge pleinement dans le style chinois, avec une part d’ombre non négligeable dans l’accompagnement pesant. C’est que ces inspirations orientales, mélangées aux rythmiques hachées auxquelles Diablo II nous a habitués, viennent très agréablement ponctuer l’écoute. On peut même trouver des touches modernes, à l’image de « Zakarum », et son rythme plus proche du rock industriel que les précédentes pistes citées.

Devant de telles originalités, on ne pourra donc pas reprocher à Uelmen d’opter pour la facilité dans d’autres thèmes. Mais une facilité toujours très efficace : dans « Tombs » comme dans « Monastery » ou encore « Cave », les chœurs apportent ainsi cet effet plus mystique, sans qu’on sache s’il s’agit de voix angéliques ou démoniaques. Certaines sont comparables à des gémissements surnaturels, amplifiant la portée dramatique des pistes. L’ambiance qui en résulte est pesante sans détour, avec une dimension toujours spectrale.

Dans « Crypt », le rythme ressemble parfois à un grondement lointain, étouffé par l’air stagnant. C’est parfois avec un simple piano qu’Uelmen martèle ses sensations. On entend même une guitare saturer le fond sonore de « Mesa », au point de se demander si ce n’est pas le cri d’agonie d’une créature affreuse. On ne sait plus tellement à quel point la musique est organique ou minérale, mais elle est d’une étonnante intensité dans tous les cas…

Les pistes s’enchaînant d’ailleurs directement, les différentes ambiances se succèdent sans transition. On se trouve ainsi devant un bloc de musique d’une heure, dont la construction narrative nous fait traverser les nombreuses influences décrites précédemment. La question se pose alors : quand la démarche principale du compositeur est de créer une ambiance ténébreuse continue, peut-on réellement l’apprécier en dehors du jeu pour laquelle elle a été imaginée à l’origine ? C’est souvent ce qui caractérise la musique de jeu occidentale : plus atmosphérique, elle est moins accrocheuse que la japonaise et ses mélodies limpides.

Mais la bande originale de Diablo II est un univers en soi. Ce souffle dramatique aux accents électriques est le style propre de Matt Uelmen : sans être passionnante à chaque instant, sa création sonore est pourtant étrangement et incroyablement fascinante.

Jérémie

Avis : Très bon

Coups de cœur :

  • Wilderness
  • Zakarum
  • Sanctuary