« La mer / Qu’on voit danser le long des golfes clairs / A des reflets d’argent »Charles Trenet
Àla manière de Charles Trenet et de sa chanson « La Mer », c’est bien à l’azur infini que Yasunori Mitsuda a voulu rendre hommage avec Chrono Cross. Indissociable des paysages maritimes, la notion de voyage est également au cœur de cette bande originale, dont la tourbillonnante « Scars Left By Time » résonne comme une véritable invitation à l’odyssée musicale.
En 1999 et jusqu’à l’arrivée de la génération de console 128 bits, la musique était encore le principal facteur d’immersion dans les jeux de rôle japonais. Afin de plonger les joueurs dans le cadre onirique et contemplatif du jeu, Mitsuda a décidé de faire appel au programmeur sonore Ryo Yamazaki, qui a réussi à repousser les limitations techniques de la Playstation pour offrir le dépaysement escompté par le compositeur. Ici, le travail de Mitsuda se retrouve imprégné d’influences musicales aux origines variées : méridionale, africaine ou asiatique, chacune de ces ambiances est portée par des instruments rattachés à leurs folklores.
Ainsi, à l’image des différentes régions du jeu, guitare portugaise (« Arni Village: Home »), udo (percussions sur « Death Volcano »), shinobue (flûte sur « They Who Are Gone ») et sitar (« Field of Time: Home World ») cohabitent tout naturellement et dépeignent la diversité des environnements de l’univers de Chrono Cross. Après Xenogears et sa bande originale très narrative, peut-on penser que cette déclaration d’amour à la musique du monde est arrivée sans crier gare ? Ce serait oublier l’album arrangé Creid et son énergie celtique, qui amorçaient secrètement la volonté de Mitsuda de teinter ses futurs projets de couleurs ethniques.
Avant de passer à l’un des points les plus importants de la bande originale de Chrono Cross, j’aimerais m’attarder quelques instants sur son prédécesseur, Chrono Trigger. Ce premier épisode sorti en 1995 sur Super Nintendo fut le point de départ la série mais aussi de la carrière de Yasunori Mitsuda. Comment expliquer les grandes différences qui séparent néanmoins ces deux travaux ? Évidemment, la supériorité technique de la Playstation et le support du disque jouent ici un rôle important, et ont permis à de nombreux compositeurs d’accroître leur expressivité. Mais deux autres aspects très importants viennent s’ajouter à cela, que l’on pourrait d’ailleurs mettre en parallèle. Je fais allusion au rythme du jeu et à la maturité de Mitsuda, alors à l’aube de la trentaine.
Ainsi, si Chrono Trigger était un jeu aussi fougueux que pouvait l’être Mitsuda étant plus jeune (il s’est retrouvé à composer pour ce titre après avoir menacé de quitter Squaresoft si on ne le laissait pas créer de la musique), Chrono Cross opte quant à lui pour un rythme beaucoup plus posé. Si certains trouvent cette suite à la fois lente et pénible, d’autres y voient au contraire une intelligente complémentarité avec le précédent volet. Et à l’image de ce rythme moins mouvementé, la progression tranquille de Chrono Cross a incité Mitsuda à assagir sa musique afin de mieux coller au cadre du jeu. Il est également probable que sa nouvelle situation professionnelle l’ait poussé à mûrir et devenir moins tumultueux avec les années. En effet, après avoir composé Xenogears, Mitsuda a finalement quitté Square, faisant de Chrono Cross sa première œuvre en freelance. Deux ans plus tard, il fonde son studio de musique : Procyon, qui édite encore aujourd’hui les œuvres du compositeur.
Mais revenons à Chrono Cross ! Et si je pourrais parler durant des heures de ses fabuleux thèmes d’ambiance comme « On the Banks of a Dream: Another World », « Dead Sea/Tower of Destruction » ou « Seamoon Sea » , il est temps de s’attaquer aux morceaux liés à la vaste galerie de personnages que le joueur côtoie durant de longues heures afin de connaître le fin mot de l’histoire et les liens qui l’unissent à Chrono Trigger. RPG japonais oblige, les émotions des personnages et les relations qu’ils entretiennent sont au cœur de l’histoire. Et si les rivages musicaux de Chrono Cross sont à ce point merveilleux, c’est également grâce aux thèmes mémorables qui accompagnent les sentiments des personnages. Que ça soit la tristesse, la joie ou encore la nostalgie, Mitsuda parsème son travail de nombreux moments poignants avec beaucoup de talent et de sensibilité.
L’un des meilleurs exemples de la BO est assurément le thème de Kid, qui n’est autre que le personnage préféré de compositeur. Cet aveu, le morceau « The Girl Who Stole the Stars » ne le dissimule aucunement puisque Mitsuda a offert à Kid une mélodie débordant de mélancolie. C’est probablement le sentiment que Mitsuda sait le mieux illustrer en musique, que cela soit avec douceur dans « Reminiscence » et « Fragment of a Dream », ou bien avec brutalité le temps de « Burning Orphanage ». Un sans-faute alors ? Oui, car même la décriée « Gale » (le thème des combats) et la trop grande homogénéité de cette œuvre ne sauraient ternir le bonheur procuré par les trois disques qui la composent.
Après Chrono Trigger et Xenogears, la bande originale de Chrono Cross clôture une sorte de Sainte-Trinité qui marqua d’une pierre blanche la musique de jeu vidéo toute entière, ainsi que la carrière de Yasunori Mitsuda. Une apogée que le compositeur atteindra de nouveau quelques années plus tard avec un autre album, placé lui aussi sous le signe du dépaysement, un certain Kirite…
Julien
Avis : Excellent
Coups de cœur :
- Scars Left By Time
- Burning Orphanage
- The Girl Who Stole the Stars
Bande originale de Chrono Cross sur Playstation.
Date de sortie : 29 juin 2005 (réédition)
Prix : 3364 yens/25€
Référence : SQEX-10047~9 (publié par Square Enix)
Composition et arrangements : Yasunori Mitsuda
Programmation sonore : Ryô Yamazaki
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