Critique : Symphonic Fantasies Tokyo

Quand on s’épuise pendant des années à faire comprendre que la musique de jeu vidéo est bel et bien de la musique qui s’écoute et s’apprécie, on est heureux d’accueillir un tel CD. Il suffit de lancer ses morceaux immenses en taille et en nuances pour ouvrir le plus simplement du monde les portes de mondes magiques.

Enregistrement de l’édition japonaise de ce qui était sans doute le plus bouleversant de tous les concerts de musique de jeux jamais réalisés, Symphonic Fantasies Tokyo ne donne jamais à ces orchestrations un simple goût de transposition rapide. Chaque suite a fait l’objet d’un travail d’arrangement aussi audacieux que somptueux, ne perdant jamais les qualités des thèmes d’origine. Au contraire, elles révèlent souvent des mélodies dont on ignorait le potentiel.

Dans le cas de « Final Fantasy », on sait bien qu’il doit être difficile de ne choisir qu’une demi-douzaine de thèmes parmi le répertoire gigantesque de Nobuo Uematsu, mais en évitant d’espérer telle ou telle reprise, on se laisse aisément emporter par la majesté et l’entrain de la suite. L’arrangeur Jonne Valtonen s’est même amusé avec la légende en tranchant littéralement dans « One-Winged Angel » avec le thème des chocobos, preuve s’il en est que Symphonic Fantasies se moque bien des attentes irréfléchies.

Malgré cette surprise, la suite Final Fantasy est loin d’être la plus saisissante. Cet honneur est occupé par celle de Secret of Mana, qui est encore aujourd’hui capable de me laisser les yeux humides. Jonne Valtonen a voulu invoquer la nature qui fourmillait dans le jeu original : les mélodies de Hiroki Kikuta sont ainsi magnifiées, enlacées par le souffle du vent, martelées par le grondement du tonnerre, relevées par le pépiement des oiseaux, éclaircies par le flot paisible d’un ruisseau… On se voit tour à tour soulevé au-dessus d’une forêt millénaire, précipité au fond d’une grotte démoniaque, balayé sur les eaux troubles d’une rivière. Une merveille narrative, ponctuées de trouvailles sonores dont on a parfois peine à croire qu’elles proviennent d’un orchestre et de ses chœurs.

Symphonic Fantasies Tokyo

Les suites Kingdom Hearts et Chrono Trigger/Cross donnent elles aussi toutes les raisons de frémir, chacune reproduisant les styles de leurs compositeurs originaux. L’élégance douce et dramatique à la fois des musiques de Yôko Shimomura est magnifiée par l’orchestration et le piano de Benyamin Nuss. Surtout lors de certains passages, tels la reprise de « Dearly Beloved » et l’incroyable portamento de son violoncelle, une des merveilleuses nouveautés de la version Tokyo, qui s’accompagne immanquablement de frissons involontaires.

La suite Chrono se veut bien plus entraînante, sous les rythmes mémorables et les mélodies inimitables de Yasunori Mitsuda. Mais son moment le plus merveilleux restera la transition infiniment naturelle entre « Prisoners of Fate », l’un des morceaux les plus tragiques de Mitsuda, et le thème de fin de Trigger… Et le final est sans doute le plus frappant !

L’édition Tokyo de l’album propose l’intégralité du concert, rappel compris. Un rappel d’environ 8 minutes, compilant les thèmes de combat de fin des différents jeux : « Destati » intense comme au premier jour, « Meridian Dance » au rythme toujours aussi entraînant, « World Revolution » un peu trop discrète malheureusement… La vraie star du rappel est le mélange inattendu du thème de Kefka et de « One-Winged Angel », sorte de combat musical signé Roger Wanamo. Les mélodies et les rythmes se chevauchent en permanence pour un résultat créatif et original. Mais, finalement, « créatif et original », n’est-ce pas la définition de Symphonic Fantasies Tokyo tout entier ? Si, et c’est bien pour cela que ce disque est indispensable à tout amateur de musique de jeu vidéo.

Jérémie

Avis : Excellent

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