Interview : Masashi Hamauzu & Mina

Nous avons pu rencontrer Masashi Hamauzu et Mina lors de leur passage à Paris, à l’occasion de leurs concerts organisés par le jeune label Wayô Records. Trois concerts ont eu lieu, deux le dimanche à la Cité Internationale des Arts, et un troisième le lendemain dans un bar-jazz parisien, le Fleurus. L’entretien a eu lieu le lundi dans la journée, quelques heures avant le dernier concert. Les artistes nous parlent de leur carrière, de leurs impressions sur les concerts de la veille, mais aussi et surtout de leur projet commun : Imeruat.

Tout d’abord, merci de nous accorder de votre temps pour cet entretien. Qu’avez-vous pensé des deux concerts d’hier soir ?

Masashi Hamuzu : Pour commencer, j’ai été très ému. J’ai été extrêmement heureux de voir qu’une équipe jeune et dynamique a tout fait pour s’occuper de ces concerts, et que de jeunes artistes ont mis autant d’énergie à reproduire mes compositions ; cela m’a vraiment touché. D’autre part, la réaction du public a été très bonne. C’est réellement très excitant de venir en France, un pays où sont nés beaucoup de compositeurs qui m’ont influencé, de qui j’ai reçu beaucoup d’émotions. C’est une sorte de consécration de faire un concert ici.

Mina : J’ai été vraiment très heureuse de donner ces concerts Imeruat en France, alors que ça n’a pas encore été fait au Japon !

Mina, parlez nous de votre formation musicale. Avez-vous suivi des études particulières ?

Mina : Je n’ai pas eu de formation musicale particulière. En fait, depuis toute petite, je baigne dans la culture aïnoue : les danses traditionnelles, les chants traditionnels… toute la culture. C’est comme ça que j’ai commencé. Concernant le mukkuri, j’ai commencé assez jeune, mais c’était plutôt de l’initiation, ou pour m’amuser. Je m’y suis mis plus sérieusement lors de mes études universitaires, quand j’avais une vingtaine d’années. Quant au tonkori, j’ai commencé plus récemment.

M. Hamauzu, revenons un peu sur votre carrière. Quel a été le projet le plus difficile sur lequel vous avez travaillé ?

Masashi Hamuzu : Psychologiquement, c’était SaGa Frontier 2, et physiquement Unlimited SaGa. Concernant SaGa Frontier 2, ça a été très pénible car j’ai voulu faire des musiques très différentes de ce qu’on attendait, à l’époque, dans un RPG. Quand la démo du jeu est sortie, je savais que ça ne correspondait pas aux attentes des joueurs, et j’ai reçu beaucoup de critiques. Les gens trouvaient ça décalé, je me suis senti attaqué de toutes parts. Ils ne comprenaient pas pourquoi j’allais dans cette direction, ce que je voulais exprimer. A ce moment, j’ai fait un gros travail sur moi-même, j’ai beaucoup hésité : est-ce que devais m’adapter aux attentes des joueurs ? Ou est-ce que je devais continuer à exprimer ce que je voulais, et faire ma musique ? S’il s’agissait de suivre la tendance du moment et subir le courant musical imposé pour les RPG, ça aurait été comme un mensonge, une trahison. Alors j’ai fini par insister et exprimer ce que j’avais de plus fort en moi. Et plus les années ont passé, plus la réputation du jeu a augmenté, et les gens ont commencé à apprécier mon travail. Ils ont compris ce que je voulais leur transmettre avec ma musique, et ça m’a rendu très fier.

Une question à propos de Final Fantasy X. Comment s’est passée la répartition des pistes entre les différents compositeurs ?

Masashi Hamuzu : En fait, c’est assez simple. Monsieur Uematsu s’est chargé des morceaux importants de l’histoire, et nous nous sommes ensuite réparti le reste avec monsieur Nakano. Nous nous sommes dit « je prends celui-ci », « et moi celui-là ». Il n’y a pas eu de processus particulier, ni de directives.

Revenons sur Unlimited SaGa. La bande son était vraiment particulière, notamment au niveau du choix des instruments. Pouvez-vous nous parlez de sa création ?

Masashi Hamuzu : À l’époque, j’ai travaillé avec Ryô Yamazaki. Comme nous n’avions pas les moyens de tout enregistrer en live, nous avons simplement composé avec ce que nous avions sous la main. Les instruments dont nous disposions (bandonéon, trompette, violon, hautbois, etc.) ont donné à la bande son un ton… Européen. Mais comme monsieur Yamazaki était programmeur du synthétiseur, nous pouvions également tirer profit des ordinateurs et des synthétiseurs pour faire des mixages et inclure des sons électroniques, ce qui a donné une sorte d’équilibre entre simplicité et modernité. Tout est parti de notre volonté de faire quelque chose de simple.

Lorsque vous composez / écrivez des paroles, comment remédiez-vous aux pannes d’inspiration ?

Mina : La plupart des morceaux dans lesquels je chante sont d’anciens chants aïnous, les paroles existent déjà, donc je n’ai pas de problème à ce niveau-là. En revanche, certaines chansons que j’écris contiennent des paroles en anglais, voire en aïnou, et la principale difficulté est de les écrire correctement comme ni l’un ni l’autre ne sont ma langue maternelle. Il faut ensuite faire vérifier les textes par des natifs des dites langues.

Masashi Hamauzu : Il m’arrive d’avoir le syndrome de la feuille blanche, surtout quand on me demande de composer une musique simple, car j’ai peur que ça ressemble à quelque chose de banal, ou qu’on a déjà entendu ailleurs. Peu importe ce qu’on me demande de composer, j’essaie d’y mettre mon essence, ma vision de la musique. Le problème, c’est que quand je fais cela, la musique devient trop compliquée ! Il faut donc trouver un équilibre entre la demande, et ce que je veux mettre dans la composition : c’est très difficile. L’une de mes méthodes pour pallier au problème est de travailler sur cinq ou six morceaux en même temps. Je travaille environ trente minutes, une heure sur chacun, et je passe de l’un à l’autre, ce qui me permet d’avoir un regard nouveau et de l’inspiration à chaque cycle. Je suis donc très embêté quand on ne me demande qu’une seule musique ! (rires)

Avez-vous, tous les deux, à ce jour, des envies non-encore concrétisées ? Si oui, lesquelles ?

Masashi Hamauzu : En tant que compositeur, j’ai toujours une espèce de musique qui flotte à l’intérieur de moi. Il s’agit d’une musique que je ne peux trouver dans aucun des disques que j’achète, ou bien à la télévision. La seule chose que je puisse faire, c’est donc créer cette musique que je veux entendre. C’est dans cette optique là que je compose et je pense que tant que j’aurais encore ces envies de musiques que je ne retrouve pas ailleurs, je continuerai à en créer. À l’heure actuelle, je ne peux pas vraiment dire s’il y a quelque chose que j’ai envie de faire en particulier, ce sont des choses qui viennent naturellement au fil du temps. Mais quand je décide de me lancer dans un nouveau projet, c’est toujours avec un véritable engouement.

Mina : Il m’est arrivé moi aussi de créer plusieurs choses jusqu’à maintenant et j’ai toujours cette envie d’exprimer pas mal de choses, notamment à travers la musique aïnoue.

Et maintenant, Imeruat. Pouvez-vous nous parler un peu du projet ? Quel est son objectif ?

Mina : En aïnou, « imeruat » signifie « éclair ». Je suis moi-même originaire du peuple Aïnou, qui est une culture qui a malheureusement tendance à disparaitre et qui survit difficilement à notre époque. Ce projet est donc né d’une envie profonde de redonner une vivacité à cette culture, qui donne l’impression de s’être arrêtée dans le temps, il y a environ une centaine d’années. Nous avons donc choisi de préserver son âme traditionnelle tout en lui apportant une touche de modernité. Nous avions déjà amorcé cette démarche avec le groupe Ainu Rebels mais à ce moment-là, je portais encore des tenues traditionnelles, et les chants que j’interprétais l’étaient tout autant, malgré leur pointe de modernité. Avec Imeruat, nous souhaitons aller encore plus loin dans ce mélange, en laissant nettement plus de place à la modernité afin de prouver que le peuple Aïnou est bien vivant, et vivant au XXIème siècle. Nous espérons vraiment que notre démarche, à la fois musicale et historique, puisse offrir un regard neuf à cette culture.

Masashi Hamauzu : Dans les quarante dernières années, il y a eu une espèce de réveil chez les artistes aïnous, qui ont essayé de mêler leurs traditions musicales à des styles plus modernes. Il s’agissait souvent de chants très anciens, interprétés sur de la musique Pop. Cela donnait lieu à des fusions musicales qui marchaient, mais sans véritable incidence sur l’évolution de la culture aïnoue. Avec Imeruat, l’idée n’est pas de faire fusionner la musique aïnoue avec d’autres genres, mais de proposer de la musique aïnou contemporaine. Le fait que Mina ne porte plus ses vêtements traditionnels va justement dans ce sens. Malgré sa modernité, nous ressentons profondément l’âme de la musique aïnoue dans les différents morceaux d’Imeruat, et nous espérons que les gens qui écouteront ces morceaux dans dix, quinze ans se diront « effectivement, c’est bel et bien de la musique aïnoue ! ».

Toujours pour Imeruat, comment vous répartissez-vous le travail ?

Masashi Hamauzu : Ce qui précède la naissance d’un morceau nous est toujours difficile car nous avons toujours peur de tomber dans quelque chose qui soit trop traditionnel ou bien trop moderne, sachant que l’essence aïnoue se doit d’être présente au cœur du morceau. Trouver cet équilibre constitue donc notre premier point de réflexion.

Mina : M. Hamauzu étant le compositeur du groupe, je fais entièrement confiance à son expression musicale et à sa manière d’intégrer toute la dimension aïnoue dans nos morceaux. Cela dit, il m’arrive bien sûr de lui donner mon avis sur son travail et lui suggérer de nouvelles pistes à explorer par rapport à ce que j’entends. Il m’arrive aussi de chanter de manière spontanée un air que l’on finit par intégrer au morceau final… L’échange est donc permanent entre nous deux pour choisir notre orientation musicale.

Masashi Hamauzu : Ceci étant, nous ne nous focalisons pas uniquement sur la musique aïnoue et nous sommes également ravis de participer à des projets qui nous permettent d’explorer d’autres horizons, comme ce fut le cas avec Final Fantasy XIII, qui ne partage pratiquement aucun point commun avec cette culture.

Mina, pouvez-vous nous parler plus en détail des instruments que vous avez utilisés lors des concerts hier (le mukkuri et le tonkori) ?

Mina : Depuis toute petite, le mukkuri est instrument qui fait partie de ma vie et avec lequel je me suis toujours amusée. Sans le pratiquer sérieusement au départ, le plaisir que je prenais à en jouer m’a poussé à perfectionner ma technique et à en jouer en public. J’ai découvert que l’utilisation du souffle mais également de la voix permettent d’émettre des sons différents, je suis très contente d’avoir un assez bon niveau qui me permet désormais de faire un usage varié et intéressant de cet instrument. Pratiquer du mukkuri est toujours un véritable bonheur pour moi !

Concernant le tonkori, cet instrument est originaire des îles Sakhaline. À titre personnel, le tonkori est arrivé plus tard dans ma vie, il y une dizaine d’années environ mais à cette époque, je ne m’y exerçais que ponctuellement. Cela fait seulement cinq ans que je m’y suis mise plus sérieusement. L’instrument représente un corps d’être humain : le haut correspond à la tête, puis il y a les oreilles, le corps, et en bas, le sexe (cf photo ci-dessous).

Masashi Hamauzu : Le tonkori est un instrument assez difficile d’accès car il n’existe pas de professeur ou de réelle méthode d’apprentissage. C’est également ce qui le rend très intéressant car cet instrument se pratique finalement au feeling, sans vraiment suivre de règles précises. C’est plutôt avec ses propres émotions que l’on découvre l’usage qu’il est possible d’en faire.

Mina : Le tonkori est plus facile d’accès que la guitare par exemple, puisqu’il n’y a que cinq cordes, et ces cordes n’ont pas à être pressées mais pincées.

Masashi Hamauzu : Le tonkori est plus dans l’esprit du koto japonais ou de la harpe, où les cordes sont effleurées. Mais de façon générale, les bons guitaristes sont également doués lorsqu’ils jouent du tonkori.

Une dernière question pour M. Hamauzu : pouvez-vous donner des conseils à celles et ceux qui aimeraient devenir compositeurs ?

Ça, c’est une question difficile ! (rires) D’une part, composer pour faire de la musique est une chose, composer pour vivre en est une autre très différente. Concernant ce deuxième point, je ne peux pas vraiment vous donner de véritables conseils. En revanche, je peux vous donner quelques conseils sur la manière de composer un beau morceau ! … (il réfléchit)

À mes yeux, il est extrêmement important pour un compositeur de ne pas composer pour les autres, mais de composer pour soi-même. Rien n’est plus important que d’exprimer ce que l’on ressent en composant, peu importe que les avis extérieurs soient bons ou mauvais. En effet, lorsqu’on compose pour les autres, une musique dont on dit le plus grand bien peut rapidement tomber dans l’oubli alors qu’une musique dans laquelle on s’est réellement impliqué finira toujours par être reconnue, même si cela prend des années.

L’autre conseil que je peux vous donner, et qui est peut-être plus important que le premier, est de ne pas faire que de la musique. Il est important d’avoir différents types d’activités en dehors du domaine musical et de s’intéresser à de nombreuses choses, comme la photographie par exemple. Accroître sa culture permet de parler de sujets divers et variés, sur lesquels on ne pourrait pas s’exprimer en ne faisant que de la musique. Dans mon cas, mener des recherches sur la culture du peuple Aïnou m’a permis de m’ouvrir à d’autres horizons et de découvrir des points de vue objectifs très intéressants.

Mon dernier conseil, c’est de ne pas chercher à trop faire dans l’originalité. Essayer de se démarquer des gens à tout prix revient presque à se mentir à soi-même. Bien que nous soyons sept milliards sur cette planète, chaque être humain mène une vie complètement unique. De ce fait, notre propre originalité vient tout simplement du fait que nous soyons ce qu’on est. Selon moi, chercher l’originalité à tout prix est quelque chose de banal. En revanche, chercher à exprimer ce que nous sommes rend notre musique originale, puisque chacun d’entre nous est unique.

En guise de conclusion, nous vous laissons la parole pour vous adresser à nos lecteurs.

Mina : Je suis vraiment ravie de pouvoir partager ma musique en dehors du Japon, notamment en France. Avoir l’opportunité de se produire en concert mais aussi de rencontrer des gens qui sont là pour nous écouter est pour moi quelque chose d’extraordinaire ! Je serais vraiment très heureuse de revenir à nouveau ici pour partager cette expérience.

Masashi Hamauzu : Je suis très content moi aussi d’avoir pu venir en France et d’avoir partagé ma musique avec autant de monde ! Ce court voyage en Europe est pour nous un premier pas mais un pas de géant. Nous espérons qu’il y en aura bien d’autres et que, vous qui nous lisez, aurez l’opportunité de venir nous voir. Nous serions extrêmement heureux de venir faire partager notre musique au plus grand nombre et pourquoi pas, de partager également nos avis sur la musique.

Propos recueillis par Clément et Julien le 23 mai 2011.

Un grand merci à Jonathan Khersis pour avoir réalisé l’interprétation auprès des artistes ainsi qu’à Laurent Martin pour avoir enregistré l’entretien.