Article : Musique de jeu vidéo et musique classique, du complexe originel à la révolution Merregnon

En cette rentrée 2015, le petit monde des amateurs de musique de jeu vidéo frémit d’excitation. À l’heure où sont publiées ces lignes, le producteur allemand Thomas Böcker et son équipe des studios Merregnon s’apprêtent à présenter à Bonn, pour la première fois au monde, leur tout nouveau concert, Final Symphony II. Dans les semaines qui suivront, ils emmèneront ces partitions reprenant les musiques de Final Fantasy V, VIII, IX et XIII à Londres, puis au Japon, où elles seront présentées lors de concerts à guichet fermé. Un succès peu surprenant : Böcker est devenu un nom majeur de la musique de jeu depuis 2009 et son concert séminal Symphonic Fantasies, dont la qualité musicale ébouriffante avait fait l’effet d’une bombe. Pour l’occasion, nous nous proposons de revenir sur l’histoire et l’essence de cette révolution à travers un prisme bien particulier : celui de la relation complexe que la musique de jeu vidéo entretient avec la musique classique.

L’étrange complexe

Le soir du samedi 12 septembre 2015, au Barbican Centre de Londres, le London Symphony Orchestra interprétera le programme de Final Symphony II, « suite » du concert donné au même endroit, par la même phalange, en mai 2013. Au même moment, et à moins de 10 kilomètres de là, le Royal Albert Hall accueillera la « Last Night of the Proms », concert de clôture du plus célèbre festival de musique classique au monde, organisé annuellement par la BBC. L’un de ces concerts sera dédié aux musiques d’une populaire série de jeux vidéo, tandis que le programme de l’autre sera en grande partie constitué de quelques unes des plus illustres pages de la musique classique (Dmitri Chostakovitch, Richard Strauss, Giacomo Puccini…). Le public de l’un de ces concerts sera studieux et attentif, silencieux et immobile pendant (presque) toute la représentation ; le public de l’autre dansera, chantera, agitera des drapeaux, frappera dans ses mains, ne s’embarrassant que de peu de retenue. Non, l’ordre des propositions dans la phrase précédente n’a pas été malencontreusement inversé.

Si les deux entreprises semblent partager un idéal commun, celui du mélange des genres, elles se feront bel et bien concurrence ce soir-là. Un fait que n’a pas manqué de regretter l’administrateur de la page Facebook « Keep Video Games Music in the Classic FM Hall of Fame », lui qui milite activement sur internet depuis maintenant plus de trois ans pour la reconnaissance de la musique de jeu vidéo dans le milieu classique. À l’origine, et comme l’indique le nom de la page (initialement « Get Video Games Music in the Classic FM Hall of Fame »), l’objectif de l’opération était de faire rentrer quelques morceaux de musique de jeu vidéo dans le « Hall of Fame » de la chaîne de radio britannique Classic FM, classement des pièces classiques préférées des auditeurs de la station, établi annuellement par vote public. Initiée en janvier 2012, l’opération atteint très rapidement son but : dès la première année, par la force d’un de ces mouvements de foule dont internet a le secret, les musiques de Skyrim et Final Fantasy VII font leur entrée dans le classement. Et la présence du jeu vidéo dans cette liste n’a évidemment fait que s’accentuer depuis : en 2015, les noms de Nobuo Uematsu, Jeremy Soule, Grant Kirkhope et Yôko Shimomura trônent fièrement dans le top 30, et côtoient Mozart, Beethoven, Rachmaninov, Tchaïkovsky…

Au premier regard, une telle juxtaposition peut paraître assez grotesque (elle ne l’est certes pas plus que la simple idée de dresser un classement des meilleures œuvres classiques !), mais nul doute qu’elle a permis de faire découvrir à quelques personnalités du milieu classique l’existence de cet engouement pour la musique de jeu vidéo. Le militant britannique ne saurait cependant se contenter de cette victoire : entre autres initiatives, il tente depuis des années d’exercer son e-lobbying sur… la BBC, qu’il aimerait convaincre de programmer de la musique de jeu vidéo dans le cadre des Proms. L’idée n’a rien de totalement farfelu a priori, puisque, après tout, les Proms ne sont jamais interdit de présenter de la musique de film ou des arrangements de chansons populaires, notamment lors de leur fameuse « Last Night ». Mais la question peut également se poser dans l’autre sens : pourquoi tenir à ce point à ce que la musique de jeu vidéo fasse une apparition dans ce festival ? Il ne peut pas s’agir d’une frustration relative à un manque : à Londres comme ailleurs en Europe, l’offre de concerts de musiques de jeu a explosé ces cinq dernières années, jusqu’à devenir aujourd’hui pléthorique. Pourquoi donc une telle détermination à pousser la musique de jeu vidéo sur ces terres dédiées à la musique classique, et non se contenter qu’elle soit son propre genre musical ?

Le Royal Albert Hall de Londres, un soir de "Last Night of the Proms"

Le Royal Albert Hall de Londres, un soir de « Last Night of the Proms »

Faut-il lire ici l’expression exacerbée de ce complexe auquel le monde du jeu vidéo est trop habitué, lié à son manque de reconnaissance culturelle ? La musique de jeu vidéo regarderait-elle la musique classique de la même façon que le jeu vidéo en général a parfois regardé le cinéma : avec une admiration béate mêlée d’envie et de jalousie, comme un maître qu’elle cherche à imiter pour obtenir son approbation, dont découlerait la légitimité, la signifiance artistique auxquelles elle a si longtemps rêvé ? Il y a peut-être un peu de ça, mais à vrai dire, elle ne fait finalement que suivre les traces de… la musique de film, qui se demande elle-même encore aujourd’hui si elle appartient ou non à ce genre vaste, et très indéfini, auquel on a donné le nom vernaculaire de « musique classique ». La musique de film, et plus généralement la musique d’image, serait-elle de la musique classique simplement parce qu’elle est instrumentale, et emploie fréquemment des formations traditionnellement associées au classique, comme l’orchestre symphonique ?

Posée ainsi, la question paraît trop simpliste pour qu’on puisse y trouver une réponse convaincante. Et ce qui est vrai pour la musique de film l’est encore plus pour la musique de jeu vidéo, dont les codes et les techniques de composition proviennent bien plus rarement de la tradition classique. Les musiques d’un John Williams ou d’un Jerry Goldsmith trouvent facilement leur place dans un concert symphonique, car leur écriture orchestrale rigoureuse les rend adaptées à ce contexte. Les musiques originales de jeu vidéo, en revanche, n’emploient encore aujourd’hui que rarement l’orchestre symphonique de façon aussi stricte ; la décision de les interpréter en versions symphoniques n’est donc pas anodine, d’autant plus qu’elle implique un important travail de réécriture et d’arrangement des compositions originales vers des versions de concert. On en vient même à se demander ce qui justifie vraiment que, quand on veut présenter ces musiques sur une scène, l’on décide de les adapter pour orchestre symphonique classique plutôt que pour n’importe quelle autre formation musicale : groupe pop, rock, jazz, folk…

L’origine du mal

Cette dernière interrogation, à vrai dire, il existe un endroit dans le monde où on ne se l’est jamais vraiment posée : le Japon. Dans ce pays où cela fait pourtant près de 30 ans que l’on fait couramment jouer de la musique de jeu par des orchestres symphoniques, grâce notamment à l’éminent Kôichi Sugiyama, cette démarche est loin d’être systématique quand il s’agit d’adapter des musiques de jeu vidéo pour l’écoute pure. Peut-être justement parce que cela fait si longtemps que l’on a l’habitude d’y écouter la musique de jeu vidéo en concert ou au disque : les sonorités simplistes des musiques 8-bit de l’époque se prêtant difficilement à l’écoute seule, une véritable tradition de l’« album arrangé » s’est rapidement développée. Et les compositeurs, que ces sonorités originales minimalistes laissaient totalement libres dans leurs choix d’arrangements, ne se sont pas fait prier pour explorer avec enthousiasme une multitude de genres musicaux différents. Une tradition qui perdure aujourd’hui, puisque l’on voit encore les musiques de certains jeux japonais populaires déclinées en plusieurs albums de genres différents. Récemment, Ôkami s’en est fait l’exemple, avec un album piano sorti en 2007, un album folk en 2013, et cette année enfin, deux albums jazz et un album… chip-tune. Une diversité qui se retrouve également au concert, comme le montrent par exemple cette année les concerts anniversaires Chrono Trigger/Chrono Cross (world music) et Mario (jazz band).

Photo prise lors des concerts anniversaire de Yasunori Mitsuda à Tôkyô, les 25 et 26 juillet derniers (au premier plan, à l'accordéon : Yuka Fujino)

Photo prise lors des concerts anniversaire de Yasunori Mitsuda à Tôkyô, les 25 et 26 juillet derniers (au premier plan, à l’accordéon : Yuka Fujino)

Mais quand, au début des années 2000, la pratique du concert de musique de jeu s’exporte du Japon vers l’occident, cette diversité ne l’accompagne pas. C’est bel et bien son pendant symphonique seul, fort de son prestige perçu, qui atteint nos contrées. L’Europe reçoit son premier concert majeur en 2003, grâce à l’association entre la Games Convention de Leipzig et un tout jeune producteur du nom de… Thomas Böcker. C’est le modèle symphonique qui est choisi pour y présenter des musiques tirées de Zelda: The Wind Waker, Final Fantasy, Shenmue, et autres. Aux États-Unis, le premier grand concert de musique de jeu vidéo se tient en mai 2004 à Los Angeles, à quelques jours de l’E3, quand Square Enix et le producteur Arnie Roth s’associent pour organiser le premier concert « officiel » Final Fantasy en dehors du Japon. Là aussi, un concert symphonique, donc, dont le programme est en large partie emprunté aux concerts 20020220 et Tour de Japon, donnés au cours des deux années précédentes au pays du soleil levant.

Dans les années qui suivent, le marché des concerts de musique de jeu explose en occident. Square Enix et Roth, ravis du succès de leurs premières collaborations, finiront par créer en 2007 la juteuse licence Distant Worlds. Entre temps, d’autres noms ont également émergé : Video Games Live, Play! A Video Game Symphony… Une constante : tous ces événements s’articulent autour d’un orchestre symphonique. Et chacun de ces concerts est devenu l’occasion de se féliciter à la fois qu’un public non habitué est amené à découvrir le concert symphonique, et que ces vénérables institutions musicales semblent enfin s’intéresser à la musique de jeu vidéo et la reconnaître à sa juste valeur. Ce dernier point paraît pourtant largement contestable. On peine en effet à voir une main tendue par le jeu vidéo vers la « grande » musique quand ses concerts s’éloignent tant de la forme classique, à tous les niveaux. En termes purement musicaux, l’omniprésence des morceaux de type medleys, ou proche du modèle radio (durée calibrée autour des 5 minutes, structure basée sur l’éprouvé couplet-refrain-couplet-refrain-pont-refrain), évoque bien plus volontiers la pop qu’autre chose. L’importance accordée parfois à la mise en scène, lumières et écrans géants, appuie aussi cette impression. Et l’on évoquera simplement pour la forme le cas extrême Video Games Live, rock-show à l’américaine explosif et écrasant, dans lequel l’orchestre se contente sur certains morceaux d’accompagner une bande préenregistrée : on peut difficilement se situer plus loin de la grande tradition musicale. Les organisateurs de ce spectacle, pourtant, comme les autres, ne se privent pas de revendiquer fièrement la présence de cet orchestre comme un gage de qualité, et une validation de la pertinence culturelle de ces concerts.

Où l’on en revient, donc, au sempiternel complexe d’infériorité culturelle mentionné plus haut. Mais cette posture n’est pas convaincante. Au-delà de son côté intrinsèquement superficiel, elle paraît même contre-productive d’un point de vue purement qualitatif : associée à ces arrangements très simples voire basiques, la présence sur scène de ces ensembles de près d’une centaine de musiciens ne devient alors qu’une contrainte, imposant une rigidité qui rend les concerts bien trop avares en surprises et prises de risque.

Video Games Live à La Nouvelle-Orléans, le 10 avril 2010

Video Games Live à La Nouvelle-Orléans, le 10 avril 2010

La révolution Merregnon

Un constat dont Thomas Böcker n’entend pas se contenter. En 2008, alors que sa collaboration avec la Games Convention vient de prendre fin, le WDR Rundfunkorchester de Cologne décide de commander au producteur de nouveaux concerts de musiques de jeu indépendants. Le 23 août de la même année se tient le premier de ces concerts, Symphonic Shades, dédié au compositeur Chris Huelsbeck. Mais c’est l’année suivante que Böcker a l’opportunité d’entamer sa révolution. Pour 2009, le projet auquel il s’attelle est un concert consacré aux musiques des jeux Square Enix, dont la popularité est sans égal. Avec son compositeur et orchestrateur principal Jonne Valtonen (qui s’apprête à cet instant à obtenir son diplôme de composition classique de l’Université des sciences appliquées de Tampere), il décide alors de tenter un format nouveau et ambitieux : plutôt que l’habituelle succession de courts morceaux ou medleys, ce concert serait constitué de véritables poèmes symphoniques, long de près de 20 minutes, intégrant le matériau originel des jeux dans une narration musicale s’inspirant sans complexe des œuvres de Richard Strauss[Note] ; il s’agirait de transformer ces musiques de jeu vidéo en des compositions s’inscrivant véritablement dans la tradition classique. Ainsi naissait Symphonic Fantasies.

Pour ce concert, l’atmosphère et la dramaturgie des jeux, plutôt que d’être rappelées aux auditeurs par un écran géant diffusant des images du jeu ou autre artifice, sont donc intégrées directement à l’écriture musicale. Du point de vue de l’auditeur, cette démarche est frappante à double titre. Tout d’abord, évidemment, parce qu’elle permet (et même impose) que les thèmes originaux des jeux, pour s’intégrer à cette narration, soient triturés, modifiés, décortiqués : ces motifs qui nous sont familiers sont entendus sous un nouveau jour, dans de nouvelles couleurs, parfois changeantes au gré de la progression de la pièce (évoquons par exemple le thème de Sora dans la Fantaisie « Kingdom Hearts »). Mais surtout, parce qu’elle établit un rapport totalement inédit entre la musique et l’auditeur.

La musique à programme, à argument narratif, telle qu’elle est pratiquée par Strauss, n’est pas une musique facile pour le néophyte : sa compréhension totale suppose non seulement une relative maîtrise des constructions classiques, qui aidera l’auditeur à repérer les différents thèmes et motifs récurrents de la pièce, mais également une assimilation préalable de l’argument en question. Des prérequis qui peuvent paraître intimidants au premier abord… mais qui ne le sont absolument pas dans le cas de ce concert, puisqu’il est attendu qu’une large partie du public connaisse déjà très bien les éléments constitutifs des pièces interprétées : ayant joué préalablement aux jeux représentés, il en maîtrise déjà l’intrigue et les thèmes musicaux, et n’aura donc aucun mal à reconnaître les motifs et à comprendre ce qu’ils représentent (personnages, événements…). Pour autant, l’auditeur n’ayant pas cette connaissance préalable n’est pas laissé pour compte : s’il part certes avec un handicap dans la compréhension par rapport à son voisin, la richesse thématique et la solidité structurelle que la pièce emprunte à la tradition classique pourront largement être suffisantes pour susciter son intérêt.

Symphonic Fantasies, à la Philharmonie de Cologne, le 12 septembre 2009

Symphonic Fantasies, à la Philharmonie de Cologne, le 12 septembre 2009

Ici donc, Böcker et ses arrangeurs accomplissent enfin la tâche évoquée plus haut : un véritable pont est dressé entre les cultures. Le joueur non mélomane est invité à aborder par la familiarité un genre musical qui aurait pu autrement lui paraître totalement hermétique ; le mélomane non joueur y trouve l’opportunité de découvrir la musique de jeu vidéo dans une forme qui saura l’intéresser malgré sa méconnaissance des jeux originaux. Au final, la réussite de Symphonic Fantasies est éclatante, son succès public et critique retentissant. La qualité d’écriture des arrangements est éblouissante, et les spectateurs du concert en ressortent non simplement ravis d’avoir entendu les thèmes de quelques uns de leurs jeux préférés en présence de leurs compositeurs, mais aussi et surtout avec l’impression de les avoir redécouverts grâce à des arrangements qui ne se contentent pas de rendre hommage aux musiques originales des jeux, mais leur redonnent un contexte et une signification. L’accueil est même tellement enthousiaste que les producteurs finiront par regretter d’avoir « joué la sécurité » sur deux des pièces du concert (la Fantaisie « Final Fantasy », et le rappel « Boss Fight »), plus proches du simple medley. Une frilosité à laquelle on ne les reprendra pas lors des concerts à venir.

Toujours plus loin

Au contraire, à partir de ce moment, ils semblent déterminés à n’imposer aucune limite à leur audace. L’année suivante, en 2010, leur nouveau concert s’intitule Symphonic Legends et est consacré aux musiques des jeux Nintendo. La principale attraction de cet événement est un monumental poème symphonique The Legend of Zelda, en un seul mouvement de près de 40 minutes. Une pièce qui impressionne non seulement par sa dimension, mais aussi par la complexité de son langage. Valtonen y inclut de nombreux éléments de musique descriptive : imitation de bruits de vent, de cris d’oiseau (il s’était déjà essayé à cet exercice l’année précédente, dans la Fantaisie « Secret of Mana » de Symphonic Fantasies). Il n’hésite pas à utiliser largement les dissonances (notamment via la polytonalité), et à puiser son inspiration chez des compositeurs du XXe siècle aux styles peu évidents : on pense parfois à Bartók, à Penderecki, à Stravinski… Le résultat est d’autant plus fascinant qu’on y trouve un paradoxe musical singulier : associer sur une même partition le langage de l’avant-garde moderne, et la narration programmatique du romantisme tardif (la structure de la pièce est en effet librement inspiré du poème Une vie de héros de Strauss), soit deux des courants musicaux les plus diamétralement opposés du début du XXe siècle, il fallait oser ! Certes, ce point particulier passe probablement inaperçu aux oreilles de la vaste majorité des auditeurs. Mais une nouvelle fois, malgré cette ambition formelle folle, l’arrangement fonctionne auprès d’une partie du public néophyte.

Une partie seulement, et pas son entièreté : il faut bien admettre que la réaction générale est moins immédiatement enthousiaste, car certains auditeurs sont décontenancés par ce parti pris assez radical. Mais quel que soit le camp dans lequel on se trouve, on peut ici remarquer et admirer le simple fait que le matériau musical original du jeu permette une telle radicalité. Les spécificités de la musique de jeu vidéo font d’elle la seule catégorie de musique d’image capable de subir une telle métamorphose. Ses mélodies sont simples et polymorphes, car elle doivent pouvoir accompagner l’action du jeu en toute circonstance, bien que cette action ne soit pas entièrement prédéterminée (elle dépend du comportement du joueur) ; elles prennent donc facilement le rôle de thème récurrent, ou de leitmotiv. Ses ambiances sont variées, car elles doivent accompagner le joueur sans le lasser sur une très longue durée ; elles n’auront donc aucun mal à être un matériau suffisant pour alimenter une pièce aussi longue.

En 2011, Symphonic Odysseys s’intéresse à la carrière de Nobuo Uematsu. Ce concert poursuit bien sûr la démarche des précédents concerts, avec notamment un nouveau poème symphonique d’une vingtaine de minutes, cette fois consacré aux musiques de Lost Odyssey. Mais on remarquera surtout le traitement appliqué aux musiques de Final Fantasy. Celles-ci sont arrangées par Roger Wanamo en un authentique concerto pour piano de forme classique : trois mouvements, rapide, lent, rapide ; une forme qui lui permet de s’éloigner de la rigueur narrative des poèmes symphoniques précédemment évoqués, et d’aller vers une expression plus instantanée et picturale, tout en conservant une structure solide et un développement riche. Ce concerto est par ailleurs une nouvelle étape franchie dans l’appropriation des codes de la musique classique, et annonce en filigrane ce que sera Final Symphony en 2013.

Roger Wanamo, Jonne Valtonen, Masashi Hamauzu et Nobuo Uematsu lors des saluts de Final Symphony, à Wuppertal, le 11 mai 2013

Roger Wanamo, Jonne Valtonen, Masashi Hamauzu et Nobuo Uematsu lors des saluts de Final Symphony, à Wuppertal, le 11 mai 2013

Car Final Symphony ne se contente même plus seulement d’utiliser dans ses arrangements des techniques empruntées au classique : le concert dans son entièreté prend la forme d’un concert classique traditionnel, avec un premier acte composé d’un poème symphonique et un concerto, puis une symphonie au second acte. À tous les niveaux, le programme de ce concert est l’apothéose du « style Merregnon ». Qu’on me pardonne de ne pas élaborer ici cette opinion, puisque je l’ai déjà (longuement) fait sur ce même site il y a deux ans. Je me contenterai seulement de paraphraser la conclusion de cette chronique : en sortant de la première de Final Symphony, nous n’avions pas simplement l’impression d’avoir assisté à une célébration de la musique de jeu vidéo, nous n’avions pas l’impression de nous être simplement laissé aller au confort de musiques que nous connaissions déjà par coeur. Nous avions entendu des musiques qui, au-delà de la familiarité, avaient des choses nouvelles à nous dire, des musiques qui nous ont surpris, qui nous ont provoqués, qui nous ont émus. C’est bien là le plus important.

Alors certes, le 12 septembre à Londres, musique classique et musique de jeu vidéo se feront concurrence, mais on aurait tort de s’en ressentir contrarié. Proms ou pas, la musique de jeu s’exprimera ce jour sous ses plus beaux atours, dans les mains de musiciens parmi les meilleurs de la planète, et dans un Barbican Hall comble. La musique de jeu vidéo ne doit pas se sentir complexée par rapport à la musique classique, et encore moins rancunière, car après tout, la musique classique ne lui doit rien. Elle est libre en revanche de l’admirer et de s’inspirer d’elle. Thomas Böcker et son équipe de compositeurs/arrangeurs n’ont jamais eu besoin que quelque institution que ce soit leur octroie un quelconque sceau qui validerait leur appartenance au club classique. Il n’ont pas eu besoin de ça pour faire le choix de s’inspirer des techniques et modèles classiques, dans le seul et unique but de produire une musique de la plus haute qualité possible. Pour marier ces deux univers qu’ils aiment d’une passion palpable et sans bornes, et dont ils ont brillamment prouvé la compatibilité durant ces six dernières années. Et nous, dans le public, nous réjouissons de pouvoir nous émerveiller de ces fabuleuses musiques. La prochaine fois que l’on en aura l’occasion, ce sera dès demain, lors de la création mondiale du programme de Final Symphony II à Bonn. On a hâte.

Florian

[Note] : Voir l’interview de Jonne Valtonen par Jérémie et Denys pour FFWorld.com : « Thomas [Böcker] était vraiment passionné par Richard Strauss, ses poèmes symphoniques notamment, alors il a voulu que nous réfléchissions à ce type d’idée. »

À lire également (pour les anglophones), sur VGMOnline.net : des guides d’écoute des différentes pièces de Final Symphony (FFVI, FFX, FFVII).

Un commentaire

  1. Ludovic   •  

    Excellent article Fabien. Très complet et bien écrit.

    J’ai appris quelques petites choses, merci !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.