Comme on a pu le constater depuis un bon moment déjà, les jeux vidéo sont, en plus d’un chouette divertissement, un merveilleux terrain d’expérimentation en matière de pédagogie. Entre entraînement cérébral, exercices de soutien scolaire, cours de dessin et de danse, on trouve de nombreux exemples tentant avec plus ou moins de succès de joindre l’utile à l’agréable. Mais, et la musique dans tout ça ? Si on ne connaît que trop bien les flopées de jeux de rythme surfant sur le succès de Dance Dance Revolution et Guitar Hero, les concepts s’appuyant sur la reconnaissance des hauteurs sont encore assez rares, car généralement difficiles à appréhender pour les non-musiciens. Pourtant, Circuits, que nous vous présentons aujourd’hui, tente de mettre à portée de tous cette gymnastique d’oreille assez difficile. Voyons voir ce qu’il en est.
Si vous avez adoré Sound Shapes et en avez exploré toutes les facettes, vous vous souviendrez peut-être de la petite « école de rythme » constituée d’une dizaine de niveaux qui nous demande de replacer les bons sons aux bons moments/endroits sur une grille. Ces tutoriels amusants étaient sensés nous apprendre quelques notions sur l’organisation des rythmes afin d’aider les moins connaisseurs à utiliser efficacement l’éditeur de niveaux de ce génial jeu de plates-formes musical. Sound Shapes posait ainsi, de façon encore un peu maladroite, les prémices d’un système alliant la reconnaissance rythmique avec celle des hauteurs. Circuits reprend ces bases et les étend en nous présentant, à travers un style épuré mais néanmoins bien pensé, une expérience plus corsée et raffinée qu’elle n’en a l’air.
(Dub) Step 1 : Durées, hauteurs, intensités, timbres…
Mais tout d’abord, Circuits, comment ça marche ? Le principe est simple : un morceau (généralement très court) nous est passé, accompagné d’une représentation visuelle dans laquelle un schéma à mi-chemin entre une constellation d’étoiles, un circuit électrique et une structure de Lewis s’illumine progressivement. Puis, différents samples symbolisés par de petites boules colorées sont mis à notre disposition dans le mauvais ordre, et il en va de notre responsabilité de les replacer au bon endroit pour recomposer la piste originale. Si les premiers des vingt-cinq niveaux actuellement disponibles sont très linéaires et d’une facilité enfantine, la roue tourne vite puisqu’on découvre que mettre les bons sons aux bons endroits n’est pas toujours suffisant. Certains samples doivent par exemple se répéter un certains nombre de fois, et il faut tendre l’oreille et compter afin de ne pas oublier une mesure ici et là. La superposition des couches ne facilite pas le travail, et on est très vite incités à utiliser les « music layers » pour isoler certaines parties de l’orchestration afin d’identifier les sons voix par voix (les PGM [Pro Gamer… Musicians] avides de trophées peuvent bien évidement se passer de cette aide, mais les autres l’accueilleront avec joie, tant pour s’entraîner que décortiquer la structure des morceaux). Enfin, une dernière mécanique nous oblige non pas à placer les samples dans le bon ordre, mais à choisir entre plusieurs ramifications proposant plus ou moins la même chose. Il faut alors faire jouer notre sens du détail pour identifier la broderie de trop, la doublure à l’octave manquante, ou l’écho plus accentué que sur les autres branches qui confirme la ressemblance parfaite avec l’original.
Circuits nous fait donc jongler avec les quatre idées de base de l’écoute musicale : aux déjà bien connues hauteurs et durées s’ajoutent les plus abstraites notions de timbre et d’intensité. En effet, certains samples sont constitués des mêmes accords et motifs mélodiques, il faut alors prêter attention aux instruments présents et à la façon dont ils jouent pour discerner les différentes intentions et nuances qui caractérisent, par exemple, plutôt une fin de phrase qu’un début. La séparation visuelle des différents types de samples (harmoniques, rythmiques, mélodiques, mais parfois aussi selon la « teinte » des sons) en catégories portant chacune une couleur et un symbole qui lui est propre est d’ailleurs une bonne idée, tout comme leur organisation sous forme de circuit abstrait qui s’illumine au fur et à mesure que le morceau est joué : cette façon de faire permet d’identifier en temps réel les différentes parties qu’on a placées, tout en procurant un intense sentiment de satisfaction lorsque le rendu correspond à nos attentes.
(Dub) Step 2 : style musical et durée de vie.
En tout et pour tout, si vous avez l’oreille un peu musicale, comptez moins de trois heures pour terminer tous les niveaux en prenant votre temps, et plus de quatre pour débloquer tous les succès. Une durée de vie somme toute satisfaisante pour un jeu indépendant sans prétention à trois euros que vous trouverez sans doute à prix cassé sur Steam d’ici quelques mois. On pourra, selon nos goûts, déplorer ou non le style des morceaux proposés par le compositeur David García, qui tourne surtout autour des styles electro et dubstep, mais les pistes se prêtent généralement bien au gameplay et se veulent reposantes et agréables à écouter (en accord avec le gameplay n’imposant pas de limite de temps et de course contre la montre). Les inconditionnels seront cependant ravis d’apprendre que de nouveaux niveaux sont actuellement en préparation, et que l’un d’entre eux est confié aux petits soins de Chipzel, rendue célèbre notamment pour la bande-son rétro et acide de Super Hexagon. Cette mise à jour à venir est une bonne nouvelle qui viendra, on l’espère, pallier au manque de rejouabilité actuel du titre (on peut par exemple espérer la mise en place future d’un éditeur de niveaux qui le rendrait encore plus attractif et permettrait d’approfondir l’expérience).
Sans être le coup de cœur du siècle, Circuits est donc une courte expérience musicale intéressante et agréable à jouer. Le visuel dénudé, l’interface sobre et claire, ainsi que l’organisation bien pensée des niveaux rend ce petit jeu accessible au plus grand nombre. Le travail sur la « décomposition » de la musique ne manquera pas non plus d’intéresser les curieux souhaitant savoir comment se superposent les différentes parties d’une piste. On a donc là une belle leçon de construction musicale.
Avis : Bon
Fiche Technique
Ça a vraiment l’air rigolo mais est-ce que les non-musicologues peuvent vraiment en profiter tout en comprenant ce qu’ils font ? C’est comme un jeu tout en japonais : on peut y jouer et s’amuser mais c’est mieux si on pige les dialogues.
C’est avant tout une question d’état d’esprit (le jeu de la reproduction n’est pas forcément ce que recherchent les gens quand on parle d’interactivité « libre »), mais la « langue musicale » est présentée de façon très accessible, sans termes barbares ni signes astrologiques complexes!
Acheté à la faveur des soldes Steam (1,49€, c’est donné…), ça a l’air super !